NERUDA

poeteAuteur : Pablo Larrain né en 1976 à Santiago du Chili, est un cinéaste, scénariste et producteur chilien. Son cinéma est engagé. Il est l’auteur de sept longs métrages dont les plus connus sont Tony Manero (2008), Santiago 73, post mortem, meilleur film au Festival international du film de Carthagène de 2010, No (2012), El Club, Grand prix du jury à la Berlinale en 2015. En 2016 il réalise Neruda et sortira en 2017 Jackie, biopic sur la vie de Jackie Kennedy.

Résumé : 1948. Au Sénat le sénateur Neruda fustige ouvertement le gouvernement et sa dérive droitière, en particulier le président Videla qui a été élu grâce aux voix de gauche. Celui-ci, sous l’influence des États-Unis a organisé une chasse aux communistes et demande la destitution de Neruda, membre du Parti. Il confie au commissaire Oscar Peluchonneau le soin de l’arrêter. Le poète et son épouse tentent de fuir et échouent dans cette première tentative. Ils sont contraints de se cacher et s’engage alors une traque où chacun tire profit de la situation. Neruda y voit l’occasion de devenir le chantre de la liberté et de la défense du petit peuple, tout en confortant sa gloire littéraire.

Analyse : Il n’est pas facile de classer ce film dans une catégorie déterminée ; est-ce un biopic ? oui ; un anti-biopic ? oui ; une œuvre romanesque ? oui ; un film policier ? oui ; un genre de western ? oui ; une course poursuite ? oui ; un hommage à la poésie ? oui ; un film politique ? oui ! C’est dire que ce film pourrait déstabiliser plus d’un spectateur. Mais si l’on compte avec la virtuosité, l’habileté, le talent de Pablo Larrain qui jongle non sans aisance avec les genres, les conventions, la créativité, l‘inventivité, alors on éprouve un plaisir de tous les instants devant ce film déroutant, splendide, très sophistiqué et bouleversant.

Ceux qui s’attendent à un biopic à la hollywoodienne, lisse et hagiographique, ceux qui ont une admiration légitime pour le merveilleux auteur de Résidence sur la terre, de Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée, du Chant général ou des Odes élémentaires, ceux qui ont tant aimé Élégie à Neruda, d’Aragon, chantée par Hélène Martin, ceux qui ont aimé le Pablo Neruda du Facteur (de Michael Radford) incarné par Philippe Noiret, seront sans doute déçus. Larrain ne ménage pas le poète adulé du peuple. Il fait un portrait haut en couleur d’un Neruda un tantinet cynique, conscient de son aura et soucieux de la préserver, narcissique, vaniteux, mégalo, roué, arrogant, sybarite amateur de belles de nuit, jouisseur mais qui ne touche pas sa femme comme si l’amour charnel avec elle était une profanation, aimant la bonne chair, d’un égoïsme insupportable ; d’un Neruda qui n’hésite pas à se déguiser en prêtre pour aller au bordel ou en cheik arabe au cours de ses soirées de beuveries.

Pourtant, au delà de ce tableau, Larrain laisse percer une réelle admiration et même une certaine tendresse pour cette idole intouchable. Le propos n’est pas de démonter un mythe, de critiquer l’homme, mais de modifier la perception que l’on peut en avoir. La poésie de Neruda est présente, prépondérante tout au long du film pour ponctuer de nouveaux chapitres, notamment le Poème XX du recueil Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée : « Je pourrais dire les vers les plus tristes cette nuit … ». Poème qu’il récitera, dans une scène émouvante, à l’oreille d’un travesti méprisé dans le bordel et qui en pleure d’émotion. Celui là même qui expliquera au policier qui traque Neruda la valeur des mots qui subliment tout autre sentiment. « On a fait un film ‘nérudien’ plutôt qu’un film sur Neruda » nous dit Pablo Larrain.

Ce film est un exercice d’une grande virtuosité. Virtuosité dans la mise en scène. Larrain manie les images avec une grande audace maîtrisée. Ainsi il n’hésite pas à filmer deux scènes en une ; par exemple ne vous étonnez pas si les pissotières du Sénat semblent être dans les salons, pour indiquer sans doute la révolte de Neruda devant ces sénateurs « à la botte » ; ou un même dialogue dans deux lieux différents pour défier l’espace et le temps. C’est astucieux, sophistiqué complexe et très bien construit, à la condition de se laisser porter par l’imagination et la créativité cinématographique du réalisateur.

Virtuosité également dans le choix et la direction de ses acteurs. Luis Gneco joue magnifiquement un Neruda bien planté, assez vulgaire, excentrique, plein de verve, non conventionnel mais qui aime le luxe « bourgeois », iconoclaste (il traite Picasso de « peintre bigleux »), aux joies presque puériles quand il risque sa vie pour tester sa peur, qui se laisse entrainer à jouer à cache-cache avec ce policier obtus qui le poursuit, en lui laissant, comme un Sherlock Holmes, des indices sous forme de livres pour le narguer. Policier incarné par le charismatique Gael Garcia Bernal, obsédé et fasciné par sa proie, qui fait de cette traque une affaire personnelle mais dont les mots, lorsqu’ils sont prononcés en off, sont ceux que lui prête Neruda. Est-il une création du poète ? Ne serait-il que sa part d’ombre ? La complication n’est qu’apparente car on est entrainé par l’immense talent du réalisateur, astucieux et brillant ; qui n’hésite pas à faire des clins d’œil à l’Histoire en faisant apparaître Pinochet en commandant d’un camp de prisonniers.

Un soin particulier a été donné aux couleurs qui, vives ou feutrées, parfois filtrées pour les décors intérieurs que ce soit celles du domicile du poète et de sa femme ou de la maison close, donnent une tonalité surannée à ce film qui décidément ne manque pas de charme.

Enfin ce film est l’occasion pour Larrain de s’interroger sur l’idéologie politique ; une scène majeure de ce point de vue : au cours d’une fête somptueuse organisée pour le poète, une humble femme du peuple, militante communiste, s’adresse à lui en ces termes : « si nous gagnons, est-ce que tu vivras comme nous, ou est-ce nous qui vivrons comme toi ? » Question qui laisse Neruda très pensif et qui est effectivement la question à laquelle le communisme doit répondre, qui pose le problème important de l’égalité dans une société où l’imagination serait au pouvoir.

 

 

2 Comments

  1. Aussi étonnée et émerveillée que toi par le film, je viens de te lire avec grand plaisir et j’ai envie de relire Neruda qui perd de son aura d’icône mais nous devient plus humain. Je t’aime et je t’embrasse. Mariette

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