I AM NOT YOUR NEGRO

I am notAuteur : Raoul Peck est un réalisateur, photographe et journaliste haïtien. Ses parents fuient la dictature des Duvalier (qu’il évoquera en 1994 dans un court métrage, L’homme sur le quai) et s’installent définitivement au Congo. Il fait des études en France et en Allemagne où il entre à l’Académie du film de Berlin. Il est l’auteur de nombreux courts métrages et documentaires, dont L’école du pouvoir (2008) et sur Patrice Lumumba, qui sera le sujet d’une fiction intitulée Lumumba (2000). Professeur à l’Université de New York de 1994 à 1995, il devient ministre de la culture de la République d’Haïti jusqu’en 1997. I Am Not Your Negro (2016) a remporté de nombreux prix dont notamment le Prix du Meilleur documentaire à Philadelphie, le Prix du Public là Toronto et Berlin (ainsi que la mention spéciale du Jury œcuménique). Il était candidat aux Oscars 2017 dans la catégorie Meilleur documentaire.

Résumé : En juin 1979, l’auteur noir américain James Baldwin prépare un livre sur la vie et les assassinats de ses amis Martin Luther King, Medgar Evers et Malcolm X. En 1987, l’écrivain disparaît en laissant un manuscrit de trente pages, Remember this House, que son exécuteur testamentaire confie plus tard à Raoul Peck. Le cinéaste se penche sur les années sanglantes de lutte pour les droits civiques, et sur la recrudescence actuelle de la violence envers les Noirs américains…

Analyse : Ce magnifique documentaire nous présente une réflexion profonde de James Baldwin non pas tant sur le racisme que sur les causes du racisme ; avec un regard impitoyable il se livre à une étude sociologique et psychologique de la société blanche américaine dont il décortique les ressorts, les craintes, les frustrations et l’inquiétude de soi. Sa vision n’est ni celle de la haine ni celle de la violence, mais son propos est pessimiste car il ne voit pas dans cette société américaine l’élément de bonne santé mentale qui lui permettrait de considérer le noir non comme un noir (I am not your negro) mais comme un homme (I am a man) de la même chair du même sang des mêmes os qu’elle, comme un citoyen qui est en Amérique dans son propre pays car il a contribué à faire de lui ce qu’il est devenu. La société américaine blanche, tentée par le repli sur soi, porte en elle les causes de la violence et de l’exclusion. Son mode de vie, faussé par un consumérisme exacerbé, témoigne d’une « pauvreté émotionnelle abyssale », son immaturité nourrie par de perpétuelles repentances, sa naïveté, son infantilisme, sa puérilité empêchent un examen de conscience qui serait douloureux mais nécessaire, favorisent l’indifférence de la majorité de la classe blanche aux conditions d’existence des noirs, à leur existence même qu’elle refuse de voir. « La plupart des Blancs que je croise – nous dit Baldwin – ne sont pas racistes. Mais ils doivent se demander pourquoi ils ont besoin d’avoir un nègre. L’avenir de l’Amérique dépend de la réponse qu’ils donneront à cette question ». Et d’ajouter « Je ne suis pas votre nègre. Je suis un homme. ». Il n’y a pas qu’absence de regard ; il y a aussi la place assignée aux noirs dans l’inconscient collectif qui aboutit à minimiser de manière insidieuse l’oppression dont ils sont victimes. Raoul Peck, par un montage astucieux, montre comment le cinéma d’Hollywood a largement contribué à cette vision de la place du noir dans la société. Il présente des extraits de séquences de films de l’époque où l’on voit des familles heureuses et s’amusant de manière puérile et idiote tandis que le noir apparaît en position servile, comme également dans La case de l’oncle Tom ; ou bien dans La chaine de Stanley Kramer qui véhicule l’image du gentil nègre qui préfère sauter du train et fuir la liberté pour accompagner son compagnon blanc.

Pour illustrer le pessimisme et la colère de James Baldwin, ce documentaire diffuse des images insupportables mais nécessaires de pendus, lynchés, suppliciés noirs par une foule de blancs hystériques, et vociférant au nom …. au nom de quoi au fait ! De leur incommensurable bêtise, de leur inculture, de leur haine ? Au nom de quelle idéologie, quelle religion, quelle croyance qui pourraient justifier de telles ignominies ? La voix off chaude et profonde de JoeyStarr pour la version française cite les textes de l’écrivain tandis que la parole lui est donnée en direct par la retransmission d’émissions télévisées ou de cours qu’il a prodigués, brillant et intelligent, entouré d’un public exclusivement blanc mais qui n’hésite pas à l’ovationner tant ses paroles sonnent justes et touchent au profond ce public de jeunes étudiants.

Ce documentaire, outre sa valeur historique, politique, et humaine présente de grandes qualités cinématographiques. Le mélange subtil des archives du passé, avec son magnifique noir et blanc et du présent aux couleurs souvent vives et heureuses, un montage précis et intelligent, le mélange de voix off et d’archives sur les interventions de Baldwin lui-même, confèrent à ce film une force, une ampleur et une audace dignes d’un grand film.

Magnifique et poignant ce film nous parle également du présent en nous donnant des images des émeutes de Ferguson de 2014 et de Baltimore de 2015. Est-ce la raison pour laquelle il a été victime sur Internet d’une campagne raciste, le présentant comme un « outil de propagande anti Blancs » ? Shame on you !

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