LES DÉLICES DE TOKYO

Auteur : Née en 1969 à Nara, Naomi Kawase réalise en 1997 son premier long métrage, Suzaku, Caméra d’or au Festival de Cannes. En 2003 Shara est présenté à Cannes en compétition officielle. La forêt de Mogari reçoit le Grand Prix du Jury à Cannes en 2007. Après plusieurs documentaires et réalisations internationales, elle présente à Cannes Hanezu, l’esprit des montagnes en 2011, puis Still the Water en compétition officielle en 2014. An (Les délices de Tokyo) était présenté à Cannes en 2015 dans la section Un certain regard.
Résumé : Sentaro vend dans une petite échoppe des dorayakis, pâtisserie japonaise se composant de deux galettes, sortes de pancakes, fourrées de pâte de haricots rouges confits, « an ». Tokue, vieille dame de 76 ans le convainc de l’engager comme aide en lui faisant goûter la pâte an de sa composition, véritable délice. Leur solitudes vont se rejoindre et c’est Tokue qui redonnera à Sentaro goût à la vie.
Analyse : Après l’enchantement de Still the Water, Naomi Kawase nous offre un petit bijou de sensibilité, de beauté, d’émotion. Avec beaucoup de subtilité, ce qui semble être une leçon de cuisine est, en fait, une leçon de vie, pleine de spiritualité, de poésie et d’amour.
Tokue est une petite vieille dame de 76 ans, avec son manteau pied de poule, son petit bonnet, et une flamme dans les yeux qui la rend si attachante. Elle porte pourtant ses blessures, celle d’avoir eu la lèpre à la sortie de la guerre, et d’avoir été mise en quarantaine dans des sortes de léproseries, supprimées seulement en 1996, par l’État nippon qui allait jusqu’à stériliser les lépreux, épisode peu connu dans le monde occidental. Sa rencontre avec Sentoro est celle de deux éclopés de la vie. Lui aussi porte ses blessures secrètes ; c’est ce qu’a lu Tokue dans son regard et qui l’a attirée vers lui. Avec la préparation minutieuse de la pâte an, penchée sur ses chaudrons, elle lui apprend la manière de remuer les haricots pendant leur cuisson, de les écouter bouillir, de les attendre, de leur parler doucement pour qu’ils soient prêts à la fin de la cuisson ; ce faisant elle lui apprend la patience, le goût de l’effort, l’espoir, le respect des choses et donc de soi, ce qui donne enfin à ce visage taciturne, le sourire de l’âme ; ce que remarque le troisième personnage du film, l’écolière Wakana, elle aussi une blessée de la vie qui ne peut, pour des raisons financières, aller au collège comme les autres jeunes filles, qui vit avec une mère volage, et qui n’a pour compagnon qu’un canari jaune et pour détente que les moments passés à l’échoppe. Elle également a un rapport de grande confiance avec Tokue. Cette préparation de la pâte an n’est en réalité qu’une métaphore de la transmission entre les générations des valeurs simples mais fondamentales de la vie : le dialogue avec la nature, avec les magnifiques cerisiers en fleurs, avec les oiseaux, avec les ancêtres, avec la lune. C’est cette spiritualité et cette leçon de vie qui se dégage de tous les films de Kawase et qui leur donne cette force et ce charme. « Chacun son chemin de vie, nous allons faire de notre mieux » dit Tokue avant d’ajouter « même si on s’efforce de vivre de manière irréprochable, il arrive que la société nous écrase. Il faut savoir faire preuve de sagesse, changer de point de vue ».
Ce film est également une leçon de liberté. Les moments où Tokue incite les collégiennes clientes de l’échoppe à goûter à la liberté sont proprement réjouissants.
On se serait peut-être passé du testament oral laissé par Tokue sur une cassette pour Sentaro et Wakana, qui rend le propos un peu trop appuyé. Mais cela ne gâche pas un film qui nous entraîne dans un monde merveilleux de poésie, de délicatesse et de beauté, tout simplement bouleversant.

1 Comments

  1. Bravo Marie .
    C’est très pro ,bien documenté, et finement analysé.
    A Quand l’émission radio?
    Baci
    Irène

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