LA MORT DE LOUIS XIV

louis-14Auteur ; Albert Serra est un jeune réalisateur espagnol (catalan) de talent, scénariste, producteur. Sa filmographie comporte de nombreux courts métrages mais également des longs métrages à succès : Honor de cavalleria (2006), adaptation libre et en langue catalane du Don Quichotte de Miguel de Cervantès, Le chant des oiseaux (2008) sur les Rois Mages à la recherche du Sauveur, Histoire de ma mort (2013) sur les derniers moments de la vie de Casanova, pour lequel il a obtenu le Léopard d’or à Locarno et La mort de Louis XIV (2015), lauréat du prix Jean Vigo 2016.

Résumé : 9 août 1715. A son retour de promenade Louis XIV se plaint de violentes douleurs à la jambe. Les jours suivants le roi dort mal et s’alite, tout en poursuivant ses activités. Mais la fièvre le gagne. C’est le début d’une lente agonie qui conduira à la mort du roi le 1er septembre 1715.

Analyse : C’est un très beau film que nous offre Albert Serra, bien différent de sa filmographie habituelle.

Certes, il peut sembler paradoxal d’écrire qu’un film sur une mort montrée au plus prêt et sans concession puisse être beau. Sans qu’il soit besoin de citer Cocteau (« Le cinéma, c’est filmer la mort au travail ») ce film porte en lui toutes les raisons de nous réjouir.

D’abord et sans conteste la sublime interprétation de Jean-Pierre Léaud. C’est le plus grand rôle qu’il ait eu depuis des années. Son jeu est tellement puissant que l’on a parfois l’impression, qui frise le vertige, que le réalisateur a fait un documentaire sur son agonie. Ses mimiques intimes, les tremblements d’une joue, le regard qui ne voit plus ceux qui entourent mais déjà tourné vers lui-même, les mains tachetées d’un vieillard discrètement tremblantes sont d’un réalisme saisissant. Et on ne peut s’empêcher de penser avec tendresse au magnifique adolescent des 400 coups, acteur dans l’âme, révélé par François Truffaut, qui a enchanté des générations et de constater avec effroi les ravages du temps qui, pour les gens de sa génération dont je suis, sont un renvoi brutal à leur propre fin.

Ensuite la mise en scène : pendant presque deux heures nous sommes dans le huis clos étouffant de la chambre royale, alors que Serra cultive habituellement plutôt le plein air. Seules deux vues rapides de l’extérieur : au tout début du film, le Roi, en promenade, assis et déjà très diminué, s’attarde sur un coucher de soleil dans des couleurs automnales comme s’il contemplait son propre déclin – le ton du film est donné ; puis, très rapide, la vue de la fenêtre de la chambre du roi sur la nature au travers d’une vitre de l’époque, ce qui donne un flou artistique également très adapté au film. La lenteur du film, qui a pu gêner certain, colle parfaitement au propos : une longue agonie douloureuse. Serra, par des cadrages précis et minutieux, filme au plus près le visage du roi Léaud : de longs plans séquences où l’acteur regarde fixement la caméra sans sourciller, de gros plans sur le visage du roi tordu de douleur, ou à la couleur cireuse de la prostration. Sans toutefois qu’il y ait absence de rythme. La ronde des courtisans attentifs à la moindre bouchée avalée par le roi, celle des médecins qui devisent savamment et discrètement sur le cas de leur patient et qui tiennent des propos invraisemblables à nos oreilles d’aujourd’hui. Le ballet des charlatans en tout genre dont les propos prêtent à sourire. La belle scène du roi avec ses lévriers où transparaît le sourire malicieux d’Antoine Doinel, moment de grande tendresse et d’humanité. Car Serra a donné de ce roi agonisant non l’image du monarque absolu auquel tout est dû, mais celle d’un être affable qui sait dire merci.

Enfin le film baigne dans une belle lumière filtrée, due au talent de Jonathan Ricquebourg, qui donne une atmosphère à la fois douce et pesante, et qui n’est pas sans rappeler la peinture des maîtres hollandais. Le pourpre et le vieil or des costumes et des tentures de lourd velours accentuent l’impression de confinement et d’écrasement d’un roi enfoncé dans un lit surchargé, engoncé dans des costumes étouffants et croulant sous d’énormes perruques le plus souvent gris cendre, couleur de la mort.

Albert Serra réussi à nous intéresser à un film qui deux heures durant montre non seulement une agonie dont on connaît l’issue, mais pose le problème de la maladie, de la souffrance, de la dépendance de la fin d’une vie.

 

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