L’AMANT D’UN JOUR

Auteur : Fils du comédien Maurice Garrel, Philippe Garrel commence sa carrière cinématographique par des courts métrages. Il passe au long métrage en 1967 avec Marie pour mémoire, Grand Prix du Festival de Biarritz. Très tôt, deux influences se dessinent : celles de Jean-Luc Godard et du Velvet Underground. Son œuvre est très inspirée de sa biographie ou de celle de son père. En 1982, il décroche le Prix Jean-Vigo pour L’Enfant secret, une œuvre qui mêle une nouvelle fois amour, création et filiation. Un an plus tard, Liberté la nuit, avec son père dans le rôle principal, est très remarqué au Festival de Cannes. Il participe à la même époque au projet Paris vu par… vingt ans après. En 1989, Les Baisers de secours marque le début d’une longue collaboration avec le romancier Marc Cholodenko. Cinéaste de l’intime, il continue de tisser une œuvre très personnelle, comme en 1991, J’entends plus la guitare, Lion d’argent à Venise. Adepte de la première prise, amoureux du noir et blanc (La Naissance de l’amour, 1993), il réalise plusieurs longs métrages dont en 1999, Le Vent de la nuit, constat désespéré dans lequel on retrouve toutes ses obsessions (la rupture sentimentale, la drogue, la fin des idéaux politiques). Il obtient en 2005 un nouveau Lion d’Argent du Meilleur réalisateur pour son film-fleuve Les Amants réguliers, évocation de Mai 68 avec pour interprètes des élèves du Conservatoire, parmi lesquels son fils Louis. En 2013, Philippe Garrel met en scène pour la sixième fois son fils et pour la deuxième fois sa fille Esther dans La Jalousie, drame inspiré de la vie de son propre père. En 2015 il réalise L’Ombre des femmes.

Résumé : Depuis trois mois Gilles, professeur de philosophie à l’université, vit une histoire d’amour avec Ariane, une de ses étudiantes. Jeanne, sa fille, débarque un jour chez lui à l’improviste. Elle vient de rompre avec son ami. Les deux jeunes filles ont le même âge, 23 ans. De cette cohabitation forcée nait entre elles une belle amitié et une complicité dans leurs problèmes de cœur.

Analyse : Ce film est le troisième d’une trilogie sur les rapports amoureux, après La jalousie (2013) et L’Ombre des femmes (2015). J’avais beaucoup aimé L’Ombre des femmes (voir ma fiche sur ce film). J’aime beaucoup ce dernier. Dans ces deux dernières réalisations Philippe Garrel tourne sa caméra vers les femmes. Ce sont elles le sujet important. Deux beaux portraits de femmes, différentes et attachantes toutes les deux. L’une, Ariane (Louise Chevillote), magnifiquement libre, lumineuse, ardente, qui vit sans tabous ni préjugés sa sensualité et ses désirs. L’autre, Jeanne (Esther Garrell), grave, romantique, naïve à sa manière, croyant en l’amour d’une vie, cassée par une rupture qui lui prend toute son énergie. Elles se retrouvent sous le toit de Gilles (Eric Caravaca) et deviennent complices, s’aidant et se comprenant. Leurs doutes, leurs interrogations sur la vie qui s’offre à elles font la trame du film. La subtilité de Garrel nous laisse entrevoir qu’au delà de cette entente réelle, il y a les non-dits d’une rivalité latente, des attitudes inconscientes qui vont entrainer des changements de situation chez l’une comme chez l’autre. Gilles, l’amant et le père, est un personnage attachant mais dépassé par la situation, qu’Ariane n’hésite pas à mettre devant ses contradictions. Elle peut aimer pour le plaisir, ce qui ne manque pas d’étonner son compagnon. « Les hommes trompent sans préavis, et ça ne les dérange absolument pas » assène-t-elle !

Comme dans les précédents films de Garrel on retrouve l’utilisation d’une voix off neutre et distante qui fait le point des situations. On retrouve surtout, avec son directeur de la photographie, le complice de toujours Renato Berta, l’utilisation d’un noir et blanc profond, subtil, délicat, qui donne à ses œuvres une atmosphère qui n’est pas sans rappeler la Nouvelle vague à laquelle il reste très attaché. Ce noir et blanc donne également à ses films une intemporalité des situations amoureuses vécues, accentuée par l’intemporalité des décors, les mêmes rues, les mêmes lieux miteux et défraichis. A quel époque sommes-nous ? On pourrait penser que nous sommes en 68. Ariane est comme l’étaient beaucoup de femmes à ce moment là, découvrant la liberté sexuelle au sein du couple qui ne doit pas être une prison. On est libre à condition de tout se dire. « Il est interdit d’interdire ». (Mais combien de couples ont-ils résisté dans cette illusion ?) Jusqu’à ce que la présence d’un téléphone portable brouille nos repères temporels et indiquent bien que Garrel traite des éternels tourments de l’amour et du couple. Au fond, rien de neuf en amour !

Garrel fait-il alors toujours le même film ? Il est vrai qu’il travaille souvent avec les mêmes équipes, notamment pour ses deux derniers films avec Jean-Claude Carrière et Arlette Langmann au scénario, Jean-Louis Aubert à la musique et Renato Berta à la photographie. Il est vrai aussi que le territoire de ses investigations est très délimité : la relation amoureuse sous toutes ses facettes. Mais c’est un orfèvre en la matière. Il traque avec subtilité et brio les recoins de l’âme amoureuse, la douleur de l‘amour, la précarité des couples, nous donnant chaque fois une œuvre unique, dépouillée, chargée d’émotion, sobre, tendre, légère aussi et d’une grande beauté.

Laisser un commentaire