RAZZIA

Auteur : Nabil Ayouch, né en France en 1969, est un réalisateur et scénariste marocain. Il s’oriente très tôt vers la réalisation. Il signe en 1992 son premier court-métrage Les pierres bleues du désert avec Jamel Debbouze. Suivent deux autres court-métrages en 1994 et 1996, tous largement primés dans divers festivals internationaux. En 1997, il réalise son premier long-métrage Mektoub qui remporte un énorme succès au Maroc et qui sera le premier film à représenter le Maroc à l’Académie des Oscars. Il réalise son deuxième film en 2000, Ali Zaoua prince de la rue. Avec ce nouveau long-métrage, Ayouch représente une fois de plus le Maroc dans la course aux Oscars. Le cinéaste revient quatre ans plus tard au cinéma, avec Whatever Lola Wants.  Il se fait à nouveau l’ambassadeur du Maroc aux Oscars avec Les Chevaux de Dieu en 2012, qui traite un thème tristement actuel, celui de la radicalisation religieuse d’un jeune marocain et de son impact sur sa famille. Il réalise ensuite son septième long-métrage, Much Loved sur les prostituées de Marrakech. Malgré une reconnaissance internationale avec notamment une sélection au Festival de Cannes dans la Quinzaine des réalisateurs, le film est violemment critiqué puis censuré au Maroc, car il comporte, selon le gouvernement, « un outrage grave aux valeurs morales« . Il réalise en 2017 Razzia.

Résumé : À Casablanca, entre le passé et le présent, cinq destinées sont reliées sans le savoir. Différents visages, différentes trajectoires, différentes luttes, mais une même quête, celle de la liberté. Et en arrière-plan, le bruit d’une révolution qui gronde …

Analyse : Nabil Ayouch, encore et encore s’attaque aux travers de la société marocaine et dénonce une fois de plus dans ce film le risque de l’intégrisme qui envahit peu à peu non seulement la sphère publique mais également la sphère privée. Razzia, dépossession, c’est bien le thème central de ce film. Les intégristes qui font la razzia sur les libertés individuelles, sur les droits de la femme, sur la tolérance religieuse pour imposer une société rétrograde et verrouillée. Les premières images montrent un maître d’école qui enseigne à des enfants captivés le cosmos, la lune, le soleil. Il leur parle en langue berbère, la seule qu’ils comprennent. Nous sommes en 1982. Mais des hommes de mauvais augure arrivent pour lui signifier que désormais les cours doivent se faire en arabe. Et notre instituteur quitte son village et sa famille, ce qui est pour le réalisateur l’occasion de filmer les somptueux paysages de l’Atlas. Puis nous passons dans la Casablanca contemporaine, même si quelques flash-back nous ramènerons à l’histoire de cet instituteur. Ce qui s’est passé en 1982 se reproduit à travers des pères, des maris, des voisins intolérants, et même une prostituée antisémite. Nous suivons le destin d’une femme, d’une adolescente, d’un musicien homosexuel, d’un restaurateur juif qui ont en commun d’être menacés dans une société où les libertés tendent à se réduire comme peau de chagrin. Tous ont le point commun de vouloir vivre en paix leur liberté que ce soit par leur mode de vie ou par leur appartenance à une autre religion. C’est surtout vers les femmes que Nabil Ayouch porte son regard, avec tendresse et amour. La magnifique Salima, incarnée par Maryam Touzani qui a co-écrit le film et qui est sa compagne de vie, illumine le film. C’est une femme libre, solaire, qui s’émancipe d’un mari très bourgeois et très traditionnaliste, qui veut la tenir sous le boisseau. Elle s’habille comme une européenne, montre ses belles jambes et sa magnifique chevelure, porte des maillots deux pièces et a le courage chevillé au corps, osant quitter son milieu confortable et garder un enfant qu’elle élèvera probablement seule. Elle représente l’espoir, l’avenir que le réalisateur souhaite. Mais c’est surtout à travers le personnage d’Ines, jeune adolescente en mal d’amour que le réalisateur nous montre combien cette société est tiraillée entre la modernité et les traditions culturelles et religieuses.

Le réalisateur n’entend pas pour autant donner des leçons. C’est avec sensibilité et amour pour son pays et ses personnages qu’il dénonce le risque encouru par la société marocaine face à certaines dérives rétrogrades. Ce film a eu des critiques positives mais quelques-unes assassines. C’est oublier qu’il manifeste de la part de son réalisateur un grand courage pour dénoncer à travers son œuvre les conservatismes et les dérives autoritaires, les inégalités sociales, le terrorisme, la misère, la prostitution, au risque de mettre sa propre personne en danger. On se souvient des troubles provoqués par la sortie de son précédent film Much Loved, bien que Razzia soit, parait-il, un succès au Maroc. Mais le courage n’est pas tout. C’est oublier également le talent de ce réalisateur. De magnifique plans que ce soit les plans larges d’une superbe nature ou les plans serrés sur ses personnages qui accentuent leur révolte et un montage nerveux qui donne à son film force et dynamisme. C’est oublier l’utilisation habile de la lumière qui souligne son propos ; c’est oublier les impressionnantes scènes des violentes manifestations de la fin qui contrastent avec la paix qui se dégagent des paysages désertiques du début. Certes il a tellement de choses à dire qu’on a parfois l’impression de décousu mais c’est un cinéma sensible et intelligent qui mérite d’être encouragé.

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