ASAKO I & II

Auteur : Ryūsuke Hamaguchi, né en 1978, est un réalisateur et scénariste japonais. Peu connu en France jusqu’en mai dernier, il a réalisé de 2007 à 2013 sept films dont aucun n’a été distribué en France, œuvre en partie marquée par le tsunami qui a touché l’archipel en 2011. Il réalise en 2015 Senses long métrage de cinq heures, portrait croisé de quatre femmes à Kobe dont l’une disparaît mystérieusement. Ce film a été distribué en France en trois tronçons, et primé en 2015 au festival de Locarno, sous le titre de Happy Hour. Son dernier film, Asako I & II a été projeté à Cannes dans la sélection officielle.

Résumé : Lorsque son premier grand amour disparaît du jour au lendemain, Asako est abasourdie et quitte Osaka pour changer de vie. Deux ans plus tard à Tokyo, elle tombe de nouveau amoureuse et s’apprête à se marier… à un homme qui ressemble trait pour trait à son premier amant évanoui.

Analyse : Ce dernier film de Ryûsuke Hamaguchi pourrait paraître comme une énième histoire d’amour, simple, banale ou sans grand intérêt, à la manière d’un roman photo, comme j’ai pu le lire sous la plume d’un journaliste très minoritaire dans son appréciation. Ce film majoritairement encensé par la critique, est un beau film, subtil, et beaucoup plus profond qu’une analyse rapide le laisserait croire. Le réalisateur s’est intéressé à l’intime des relations humaines et d’une passion amoureuse, ce qui n’est pas fréquent dans la filmographie nippone. Il part de l’idée juste, très proustienne, qu’un premier amour laisse en nous une trace indélébile et qu’on n’aime jamais plus comme la première fois. Avec romanesque et un brin de fantastique, nous assistons à la rencontre d’Asako I et de Baku, coup de foudre ponctué en arrière fond autour d’eux par des fumées, des explosions de pétards manipulés par des gamins ; un véritable feu d’artifice. Baku est séduisant, un brin dédaigneux ; il a cette allure décontractée, détachée, mystérieuse, qui plait tant aux jeunes filles. Une véritable passion naît entre eux et l’on sent bien, malgré l’aspect très réservé d’Asako, combien elle brûle d’amour pour son beau Baku. Mais ce dernier, instable et fantasque, part acheter du pain et ne revient plus… C’est dans la seconde partie du film, lorsque Asako est partie se réfugier à Tokyo, que l’on comprend la blessure profonde qui est la sienne. Quand elle rencontre Ryohei, parfait sosie de Baku, elle commence par le fuir. Pour nous spectateurs, le doute s’installe. Qui est ce Ryohei, le spectre de Baku ? Ce film décline le thème du double dont la liste est longue au cinéma, pour ne citer qu’Hitchcock (Vertigo), David Lynch (MulhollandDrive) ou Antonioni (L’Avventura). Assez vite les interrogations s’estompent et on retombe dans la réalité. Ryohei, le physique mis à part, est l’exact opposé de Baku. Employé modèle, sans fantaisie, sérieux, posé, sans imagination. Il n’aspire qu’à fonder un foyer et à mener une petite vie tranquille. Une figure très pâle de son sosie. Ses efforts pour séduire Asako vont finir par payer. Asako II (qui est le double, Baku ou Asako ?) finit par aimer Ryohei mais d’un amour sage et conventionnel, bourgeois suis-je tentée d’écrire. Cette rencontre se fera à la suite d’un tremblement de terre, vécu dans une salle de théâtre, métaphore du bouleversement qui se produit chez Asako quand elle accepte ce deuxième amour. Par un extraordinaire sens de l’ellipse le réalisateur nous les montre quelques années plus tard. Ils sont installés ensembles, ont des amis qu’ils invitent chez eux, font du bénévolat pour aider les victimes du tremblement de terre, bref tout ce qui cimente un couple. Mais la belle Asako a une âme ardente. Et, à travers sa réaction lorsque réapparaît Baku, le cinéaste nous montre la complexité du sentiment amoureux, sa fragilité quand le souvenir d’une passion amoureuse peut le briser. Le personnage d’Asako, tellement réservé, est celui d’une femme déterminée, libre, moderne, avec ses interrogations, ses décisions fulgurantes mais ses indécisions aussi. Portrait fascinant, d’une grande intensité, qui doit beaucoup à celle qui l’incarne (Erika Karata). Un film tout en subtilité et en finesse, avec un rythme qui s’adapte aux états d’âme et aux situations d’Asako, à la mise en scène légère, faussement classique, qui donne à ce film une allure de rêve éveillé. Un oublié du palmarès de Cannes.

 

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