LES OISEAUX DE PASSAGE

Auteur : Ciro Guerra, né en 1961, est un réalisateur colombien. Après avoir réalisé quatre courts métrages, il tourne en vidéo noir et blanc son premier long métrage, La Sombra del caminante, produit entre étudiants de l’École de cinéma de l’Université nationale de Colombie. Son deuxième long métrage Les voyages du vent est présenté au festival de Cannes en 2009 dans la sélection Un certain regard. L’Étreinte du serpent lui vaut la reconnaissance internationale, ainsi qu’un Prix Platino du meilleur réalisateur en 2016. Le film Les oiseaux de passage est présenté à Cannes dans la sélection Un certain regard et remporte l’Abrazo d’or du meilleur film au Festival de Biarritz Amérique latine (2018). Ciro Guerra sera président de la Semaine de la critique au prochain festival de Cannes. 

Autrice :  Cristina Gallego, née en 1978, est une productrice de cinéma et de télévision colombienne. Elle est également réalisatrice du film Les oiseaux de passage. Elle a été la productrice de L’étreinte du serpentet des Voyages du vent de Ciro Guerra avec lequel elle a fondé la maison de production Cuidad Lunar Producciones.

Résumé : Au seuil des années 70, en Colombie, l’irruption du trafic de la marijuana provoque à la fois la naissance des cartels et une guerre sans merci entre clans amérindiens. 

Analyse : C’est un film fascinant que réalisent Ciro Guerra et sa productrice et ex-épouse, Cristina Gallego. Ils abordent la confrontation entre la vie traditionnelle d’un groupe d’amérindiens, les Wayuu, et les impératifs de la compétition mercantile, de la course à l’argent du monde moderne. Confrontation tragique. La première demi-heure est une étude ethnologique sur ces Indiens. Le film s’ouvre sur une superbe danse prénuptiale. Mais ce n’est là qu’un prologue, une mise en contexte. La fresque que nous présentent les auteurs tient du film de genre, dont ils ont utilisé avec virtuosité tous les codes, film de gangsters, western chaman sans cow-boys, tragédie sur la lutte sans merci des narcotrafiquants. Ce n’est pas pour autant un énième film sur Escobar ou ses acolytes. Le propos des réalisateurs est plus ambitieux et plus ample. Pour eux c’est une histoire allégorique sur toute la Colombie, la légende de tout un peuple, la mythologie d’un territoire : l’origine des cartels colombiens de la drogue, histoire peu connue ou oubliée. Comment ce monde ancestral a été broyé, comment ces indiens tranquilles qui vivaient de l’élevage et de leur tradition ont perdus leur identité, par le pouvoir corrupteur de l’argent et l’avidité à en posséder toujours plus. Le responsable ? nous sommes dans les années 70, des hippies américains débarquent en quête de paradis artificiels, mais aussi désireux de faire des profits en exportant l’herbe magique aux États-Unis. C’est l’ère de la bonanza marimbera : les prix grimpent, le commerce explose, l’économie de marché commence ses ravages. Plus qu’un film de genre les réalisateurs ont bâti leur film comme une tragédie grecque, en cinq chants (L’herbe sauvage, les tombes, la prospérité, la guerre, les limbes) et trois actes, ascension, prospérité, décadence. On y retrouve tous les ingrédients de cette tragédie : les rituels ancestraux et l’importance des présages, l’interprétation des rêves, la trahison, l’honneur offensé, la vengeance, le messager qui est l’intermédiaire, sans oublier le rôle de la Pitie, en l’occurrence la matriarche, cheffe de la tribu, qui est la voix des Dieux et la gardienne des traditions. Le paysage participe à la tragédie, de grands espaces désertiques à la beauté âpre et sauvage de la région de Guarija à l’extrême nord de la Colombie. A la moitié du film nous sommes en 1980. L’abondance de l’argent facile a remplacé les cahuttes par des villas somptueuses à l’américaine au milieu de nulle part, les ânes par des 4×4 ; les armes sont si nombreuses qu’ils les cachent dans des tombes, profanant les traditions. La vengeance, comme dans les vendetta corses, décimera toute la famille. Un film puissant, d’une beauté qui reste longtemps en mémoire.

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