Autrice : Waad al-Kateab est directrice de la photographie, productrice et réalisatrice syrienne. Elle vit actuellement en grande Bretagne. Pour Sama est son premier documentaire qu’elle a réalisé avec le documentariste britannique Edward Watts.
Auteur : Edward Watts est un réalisateur et scénariste anglais connu pour ses documentaires et ses films narratifs. Il a créé des films avec le réseau de télévision britannique Channel 4 et ITN Productions. Il est connu pour des films comme Escape From ISIS (2015),The Mega Brothel (2015) et For Sama (2019).
Pour Sama a été récompensé de l’Œil d’or, célébrant le meilleur documentaire de Cannes 2019, et à Châlons-en-Champagne, où il a été couronné du Grand Prix du Jury War on Screen.
Résumé : Waad al-Kateab est une jeune femme syrienne qui vit à Alep lorsque la guerre éclate en 2011. Sous les bombardements, la vie continue. Elle décide de rester à Alep et filme au quotidien les pertes, les espoirs et la solidarité du peuple d’Alep. Waad et son mari médecin, Hamza, sont déchirés entre partir et protéger leur fille Sama ou résister pour la liberté de leur pays.
Analyse : C’est un documentaire bouleversant, une terrifiante plongée au cœur de la guerre civile syrienne, à Alep, sans aucune censure ; la guerre telle qu’elle est vécue par ceux qui la subissent avec son cortège de morts, de blessés, et les larmes des survivants. Dans ce journal intime, écrit pour sa fille, et journal de guerre, Waad al-Kateab a filmé la résistance des habitants d’Alep. Alep « outragée… brisée… martyrisée » mais Alep qui n’a jamais été libérée.
C’est une résistante qui avec sa caméra, véritable arme contre l’oubli, dénonce et montre l’insupportable. On pleure devant ces deux enfants couverts de poussière qui sanglotent devant le cadavre de leur cadet qu’ils ont apporté à l’hôpital, ou devant l’image insoutenable de cette mère qui supplie son fils mort de lui parler et qui décide de porter seule son cadavre enveloppé d’un drap blanc hors de l’hôpital sous le regard impuissant des passants, ou encore devant les larmes de Hamza face à la destruction de son hôpital, le dernier d’Alep. Comment contenir notre émotion devant ces scènes d’horreur inimaginables ? Waad al-Kateab filme en direct un crime contre l’humanité, les cadavres d’opposants, jetés dans la rivière par le régime du dictateur syrien, que l’on repêche, les faces et les corps tuméfiés, mutilés des torturés que l’on ramène à l’hôpital, morts ou mourants. C’est de la part de cette jeune femme journaliste-citoyenne, d’une lumineuse beauté, un acte militant, la nécessité de témoigner pour sa petite fille de ce qu’a été leur courageuse résistance dans cette ville assiégée, affamée, détruite. Elle explique à son bébé leurs hésitations, leur culpabilité, se demandant si elle leur pardonnera d’être restés au risque de mourir dans une ville bombardée. Parce que pour elle et son mari, « pendant longtemps on était sûrs qu’on gagnerait » et parce « essayer de vivre ici normalement, c’est déjà résister au régime », c’est ne pas perdre. Elle s’étonne aussi sans acrimonie ni polémique, de l’indifférence de la communauté internationale. En effet, comment avons-nous pu laisser faire une telle barbarie à nos portes, et comment pouvons-nous nous poser des questions sur l’accueil de ces malheureux ?
Mais ce documentaire n’est pas qu’un film de guerre. Il est aussi un journal intime sur l’amour qui naît entre la journaliste et le médecin qui partagent la même cause. Waad filme également leur mariage, elle, ravissante en robe de mariée, scène qui semble surréaliste dans ce chaos ambiant, mais qui nous fait oublier la guerre ; la naissance de leur petite Sama, puis plus tard d’une autre petite fille, toujours sous les bombes ; leur quotidien avec une famille d’amis qui, comme eux ont décidé de rester, moments d’intimité chaleureuse, pleins d’énergie, drôles parfois malgré tout.
Un documentaire terrible, indispensable, qu’on ne peut, ni ne doit, éviter.