J’ai perdu mon corps

Auteur : Jérémy Clapin, né en 1974, est un réalisateur de films d’animation français. Il débute sa carrière comme graphiste et illustrateur pour la presse et l’édition. Il travaille ensuite dans la publicité et réalise plusieurs court-métrages. Son court-métrage Skhizein (2008) rencontre un succès inédit et se voit décerner plus de 90 prix en festivals. En 2012, il réalise son troisième court-métrage Palmipedarium primé dans de nombreux festivals. Son premier long métrage J’ai perdu mon corps, adapté du roman de Guillaume Laurant, Happy Hand, a obtenu le Grand Prix de la Semaine de la critique à Cannes (2019), le Cristal du long métrage et le prix du public au festival international du film d’animation d’Annecy, le Prix de la critique au Colcoa French Film Festival de Los Angeles.

Résumé : A Paris dans les années 1990, Naoufel d’origine marocaine, est un jeune livreur de pizzas. C’est un doux rêveur sur lequel le sort s’acharne depuis l’enfance. Il ne sait pas comment prendre son avenir en main. Un soir, alors qu’il est coincé dans un hall d’immeuble, le jeune homme tombe amoureux de Gabrielle. Elle n’est d’abord pour lui qu’une voix. Fidèle à sa conception du monde : « Comment dribbler le destin ? (…) Tu fonces tête baissée et tu croises les doigts », Naoufel va tout orchestrer pour plaire à Gabrielle. Un peu plus loin dans la ville, une main coupée s’échappe d’un labo, bien décidée à retrouver son corps. Naoufel, la main, Gabrielle, tous trois retrouveront, d’une façon poétique et inattendue, le fil de leur histoire…

Analyse : Assez complexe dans sa structure ce magnifique film animé pour adultes joue sur trois niveaux de narration. On suit les péripéties de la main coupée à la recherche du corps qu’elle a perdu, les épisodes sur la jeunesse de Naoufel, sa vie amoureuse à la recherche de Gabrielle et leur rencontre ; complexe par la multitude des lieux, les souterrains, les transports en commun, les bas-fonds que traverse la main dans ses aventures urbaines essentiellement nocturnes, les lieux plus lumineux des gratte-ciel, des vues sur la ville et de la vie moderne ; complexe également par les différentes époques qui s’entremêlent dans des flashbacks subtils, avec l’utilisation de techniques différentes, le noir et blanc, la couleur, l’animation 3D et le dessin plus traditionnel. Mais cette complexité n’est en rien gênante pour la compréhension du film car la mise en scène est tellement fluide, habile, intelligente que le spectateur n’est jamais perdu même si les flashbacks sont à peine annoncés. Ces qualités ne sont pas les seules de ce film fantastique d’une grande originalité. Un montage limpide et sophistiqué, des cadrages audacieux et spectaculaires, l’élégance et la sophistication du graphisme, rendent ce film très attachant. Il diffuse une poésie, une sensibilité, une profonde mélancolie, une solitude pleine de rebondissements, avec des séquences très inattendues dans un film d’animation davantage basé sur le dessin que sur le son, lorsque par exemple, entre Naoufel et Gabrielle se noue un dialogue amoureux surréaliste à travers un interphone, elle confortable au 35ème étage de sa tour, lui dans le hall en situation d’échec avec la pizza accidentée qu’il devait lui livrer … Les aventures de cette main baladeuse sont particulièrement remarquables. Elle s’élance discrètement, dégringole d’un toit ou se rattrape à l’aide d’un parapluie, échappe à la noyade en s’accrochant à une balle de tennis, échoue dans le métro, cachée sous les rames où elle se fait attaquer par des rats. On la retrouve dans la chambre d’un bébé qui pleure auquel elle redonne sa sucette, on la voit se lover dans une boite de conserve et échapper aux éboueurs … c’est une véritable créature au parcours plein d’angoisse et de suspense. La sublime musique de Dan Lévy entretient d’ailleurs ce suspense et favorise l’émotion. Un film élégant, d’une grande poésie, très original et attachant. 

Laisser un commentaire