Chained / Beloved

Auteur : Yaron Shani né en 1973 est un cinéaste israélien. Il a étudié le cinéma à l’Université de Tel Aviv et a réalisé son film de fin d’études, Disphoria en 2004, qui a remporté un prix au festival du film étudiant de Potsdam. Il a ensuite écrit et réalisé plusieurs courts métrages. Après avoir fait la connaissance de Scandar Copti, ils réalisent un polar Ajami (2009) qui a reçu le prix du meilleur film israélien Ophir, a été sélectionné pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère et a reçu une Caméra d’Or – Mention spéciale à la Quinzaine des Réalisateurs 2009. Après plusieurs réalisations, il tourne en 2019 une trilogie, Chained, Beloved et Stripped.

Interprètes : Stav Almagor (Avigail), Eran Naim (Rashi), Stav Patay (Yasmine, la fille d’Avigail).

Résumé : Récit de la séparation d’un jeune couple vivant dans un petit appartement de Tel Aviv, vu du point de vue du mari (Chained) puis de celui de la femme (Beloved).

Analyse : Ces deux films font partie d’un triptyque dont le troisième élément sortira à la rentrée. On peut les voir séparément mais ensemble ils prennent toute leur force et leur signification (commencer par Chained). Ils se répondent et me paraissent indissociables comme étant l’avers et le revers d’une même médaille. Chained est âpre et tranchant, comme Rashi, marié à Avigail. C’est un gros (très gros) nounours, très amoureux de sa femme, qui traverse une crise profonde. Professionnelle d’abord : policier il est mis à pied sur des accusations d’agression sexuelle après avoir effectué une fouille corporelle sur des jeunes, dont l’un a un père haut placé dans la police. Familiale ensuite car il est confronté à la révolte permanente de la fille d’Abigail qui, à 13 ans, vit mal son autoritarisme intrusif. Sentimentale enfin. Remis en cause dans son autorité, désemparé, il laisse parler sa violence et se montre de plus en plus possessif et jaloux avec sa femme, l’infantilisant en la sermonnant comme une enfant. Timide et soumise il la sent néanmoins se détacher de jour en jour et manifester une indépendance qui l’insupporte. La caméra se concentre beaucoup, en gros plan ou en contre plongée, sur le visage de Rashi qui exprime sa détresse, sa fragilité et son incompréhension. Autant Chained raconte dans une ambiance pesante l’enfermement d’un homme dans sa masculinité toxique, autant Beloved qui est la chronique d’une renaissance, d’une émancipation féminine, est lumineux. La scène d’ouverture est reprise du film précédent, comme un raccord d’une histoire qui se prolonge : Abigail qui vient de faire une fausse couche est en sanglot dans les bras de son mari. Cette fois c’est sur elle que la caméra va se concentrer. Dans son métier d’infirmière elle se lie avec une quadragénaire qui accompagne les futures mamans, qui la prend en amitié et la fait entrer dans un cercle féminin. Dans ce gynécée règne une magnifique atmosphère de tendresse, de rire, d’écoute, de solidarité, de sororité ; on voit Abigail se révéler à elle-même, s’épanouir doucement au prix de larmes amères et réaliser qu’elle n’est pas heureuse, que ce n’est pas la vie qui lui convient et qu’elle n’aime pas Rashi. Des moments très émouvants de beauté et de pur bonheur ; également lorsqu’on assiste à toutes les étapes de l’accouchement d’une des femmes dans un bassin. Le réalisateur qui manifeste une très grande sensibilité au monde féminin et à ses aspirations brosse un large éventail de portraits féminins qui nous laissent apercevoir ce qu’est la situation des femmes dans une société israélienne désorientée où la violence de l’homme est une donnée ordinaire. 

Pour être au plus près de la réalité, à la manière d’un documentaire, Yaron Shani a choisi des acteurs dont certains ont vécu des situations assez proches de celles décrites dans le scénario. Par nécessité (censure ?) ou par parti-pris, comme dans un reportage télévisuel, il a flouté les sexes et les seins des personnages et certains visages, notamment ceux des personnes âgées à l’hôpital, protégeant ainsi les intervenants qui ne sont pas comédiens. Un cinéma vérité qui nous plonge au plus intime d’un couple en nous donnant tous les points de vue pour mieux rendre compte de la complexité des sentiments. 

Un diptyque dense, profond, sensible et bouleversant

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