Madre

Auteur : Rodrigo Sorogoyen né en 1981 est un réalisateur et scénariste espagnol. Il est considéré comme l’un des meilleurs représentants du renouveau du cinéma espagnol. Il est l’auteur de cinq longs métrages dont Que Dios nos perdone (2016), prix du meilleur scénario au Festival international du film de Saint-Sébastien, et El reino (2018) récompensé de sept goyas ; également de deux courts métrages dont Madre (2017, deux goyas).

Interprètes : Marta Nieto (Elena) ; Jules Porier (Jean) ; Anne Consigny (mère de Jean) ; Frédéric Pierrot (père de Jean). 

Résumé : Le fils d’Elena, âgé de 6 ans, a disparu sur une plage des Landes. Dix ans après Elena y vit et travaille dans un restaurant de bord de mer. Dévastée depuis ce tragique épisode, sa vie suit son cours tant bien que mal, jusqu’au jour où elle rencontre un adolescent qui ressemble à son fils disparu…

Analyse : Avec le talent qu’on lui connaît, Rodrigo Sorogoyen a, pour ce cinquième long métrage changé de style. Après deux thrillers, l’un policier (Que Dios nos perdone), l’autre politique (El Reino), il nous offre un récit intimiste, subtil, qui analyse en profondeur la désespérance d’une mère qui noue une relation trouble et ambigüe avec un jeune garçon de l’âge qu’aurait eue son fils disparu. Le film commence comme un thriller, avec un long plan-séquence virtuose d’une dizaine de minutes où la tension monte jusqu’à l’angoisse ; on suit l’effroi et l’impuissance de la mère dans son appartement madrilène, lorsqu’à travers la conversation téléphonique qu’elle a avec son fils de six ans on comprend qu’il est seul et perdu sans son père sur une immense plage en France et qu’un « monsieur » s’approche de lui. Cette scène d’ouverture constitue le court métrage du même nom réalisé par l’auteuren 2017. On change ensuite de registre et on retrouve Elena qui travaille depuis dix ans dans un bar sur une immense plage semblable à celle où son fils a disparu. Le regard vide, désœuvrée, elle arpente le soir cette vaste plage landaise ; pour les autres elle est « la folle de la plage ». Des vues répétées du flux et du reflux des flots sur le sable sont la métaphore angoissante du souvenir d’une tragédie ressassée. En croisant un groupe de jeunes garçons elle est saisie par la ressemblance de l’un d’eux avec son fils. Et comme aimantée par lui elle le suit et suscite la rencontre. Le lien qu’elle tisse avec Jean est à la mesure de la force du manque de ce fils disparu et d’une quête qu’un deuil qui n’a pu se faire, laisse inassouvie. Le réalisateur a l’intelligence et la subtilité de donner à cette relation forte et dérangeante une beauté et une liberté, là où les autres, particulièrement les parents de Jean, ne voient que du mal. Pour Elena c’est la recherche d’un fils de substitution, pour Jean c’est l’excitation d’un adolescent qui se voit courtisé par une femme d’âge mûr. Mais au-delà de ces raisons c’est une attirance réciproque complexe dont la nature échappe aux intéressés eux-mêmes C’est ce qui fait tout l’intérêt et la beauté du film.   

Un film porté par la remarquable interprétation de Marta Nieto dont chaque regard, chaque geste exprime la douleur d’une mère amputée d’un fils trop tôt disparu.

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