La voix d’Aïda

Autrice : Jasmila Žbanić est une réalisatrice bosniaque née à Sarajevo en 1974. Elle réalise plusieurs courts métrages avant de se lancer dans la réalisation de longs métrages. La voix d’Aïda est son neuvième long métrage. Très sensible à l’histoire tragique de son pays elle réalise en 2006 Sarajevo, mon amour, Ours d’or et prix du jury œcuménique. Elle reçoit le Prix FIPRESCI au festival international du film d’Erevan 2010 pour Le Choix de Luna. La voix d’Aïda (Quo vadis, Aïda ?) a reçu l’Atlas d’or du meilleur film à Arras Film Festival 2020.

Interprètes : Jasna Duricic (Aïda) ; Izudin Bajrovic (Nihad, son mari); Boris Ler (Hamidja, son fils) ; Dino Bajrovic (Ejo, son fils) ; Boris Isakovic (Ratko Mladic).

Résumé : A Srebrenica, en 1995, les Serbes menacent la ville (et un massacre aura lieu). Aïda, professeure d’anglais, est interprète pour les Casques bleus. Tandis que la situation empire, elle tente de sauver sa famille.

Analyse : En juillet 1995, à quelques centaines de kilomètres de Paris, au cœur de l’Europe, avait lieu un génocide sur les musulmans bosniaques par les dirigeants serbes. 8372 hommes, enfants, fils, maris, frères, pères, grands-pères, oncles, furent sauvagement assassinés, rappelant des méthodes que l’on ne croyait plus revoir depuis la seconde guerre mondiale. C’est sur cette tragédie historique de son pays que s’attarde Jasmila Zbanic à travers le destin d’Aïda (incarnée magistralement par Jasna Duricic). Elle est professeure d’anglais et recrutée comme interprète par les forces de l’ONU présentes. Les serbes ont envahi la ville de Srebrenica et la bombardent. Des dizaines de milliers d’hommes, femmes et enfants tentent d’entrer dans le camp protégé des forces internationales. Mais beaucoup restent à l’extérieur des grilles. Dans une reconstitution sobre et précise, sans pathos ni effets de style inutiles la réalisatrice filme au plus près Aïda qui tente avec rage, détermination, et une énergie incroyable de sauver son mari et ses deux fils restés à l’extérieur. Les hollandais de l’ONU ont lancé un ultimatum aux forces serbes pour un cessez le feu, faute de quoi ils seront bombardés. Le temps passe ; l’ultimatum expire et rien ne se produit. La réalisatrice montre parfaitement l’impuissance, la complicité passive des forces de l’ONU qui se prêtent même à une rencontre entre des émissaires de la population choisis et le général Ratko Mladic (le boucher des Balkans) qui n’est que l’occasion d’une humiliation supplémentaire du peuple bosniaque. Ils laissent entrer les serbes armés dans le camp, contrairement à toutes les lois internationales et feignent de croire les propos lénifiants de Mladic en lui livrant cette population de milliers de gens. Ce film est un véritable acte d’accusation. Même s’il y a un suspens, Aïda réussira-t-elle à sauver sa famille, le spectateur voit parfaitement la stratégie de Mladic, aujourd’hui condamné à la prison à vie pour crime contre l’humanité, qui fait monter femmes et enfants dans des bus, « pour les mettre à l’abri » et les hommes de tous âges dans des camions dont on ne comprend que trop quel sera leur destination. Le massacre n’est pas montré, il est seulement suggéré. La réalisatrice préfère s’attarder longtemps sur les visages et le regard des victimes. Ce même regard lourd et pesant d’Aïda qui clôt ce film dédié à toutes les femmes de Srebrenica. 

On sort de ce film bouleversant sonnés, écrasés par le choc des images. Un film nécessaire à l’heure où d’autres génocides menacent dans le monde, un film contre l’oubli.

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