Les Poings desserrés

Autrice : Kira Kovalenko, née en 1989 à Naltchik , capitale de la République de Kabardino-Balkarie, est une réalisatrice et scénariste russe. Elle commence par faire des études de design puis travaille comme correspondante pour la télévision. De 2010 à 2015, le grand cinéaste russe Alexandre Sokourov s’installe à Naltchik pour y animer un atelier de cinéma à l’invitation du président de l’université de la ville. Kira Kovalenko réussi à faire partie des 15 élèves sélectionnés pour suivre le séminaire. Cette formation a fait émerger toute une génération de cinéastes originaire de cette région, dont le très doué Kantemir Balagov (Tesnota, une vie à l’étroit ; Une grande fille) qui est devenu son compagnon. Durant ses études, Kovalenko a réalisé plusieurs court-métrages. Elle est installée à Moscou depuis 2017. Son premier long métrage Sofitchka (2016) a été présenté en compétition au Festival du film Nuits noires de Tallinn. Son second long-métrage, Les Poings desserrés a été présenté en sélection Un certain regard à Cannes 2021 où il a obtenu le Prix Un certain regard.

Interpètes : Milena Aguzarova (Ada) ; Alik Karaev (le père) ; Sosian Khugaev (le frère aîné) ; Khetag Bibilov (le frère cadet).

Résumé : Dans une ancienne ville minière en Ossétie du Nord, une jeune femme, Ada, tente d’échapper à la mainmise de sa famille qu’elle rejette autant qu’elle l’aime.

Analyse : Ada est une jeune fille fragile, au regard de bête traquée. Elle vit dans un village d’Ossétie du Nord dans le Caucase, non loin de la ville de Beslan où eu lieu en septembre 2004 un horrible attentat des indépendantistes tchétchènes contre une école qui fit 334 civils tués dont 186 enfants. Éprise de liberté elle cherche à fuir l’emprise terrible des hommes de la famille, son père et ses deux frères qui l’enferment  littéralement dans un trop plein d’amour possessif, malsain, toxique. Une lourde atmosphère d’inceste ou de viol pèse pendant une grande partie du film. La mère a disparu et Ada tient le rôle de l’épouse du foyer, de la mère de substitution surtout pour son jeune frère. Elle porte une meurtrissure et on mettra longtemps à comprendre sa douleur : elle a été victime de cet attentat. Meurtrie dans sa chaire elle est devenue incontinente et son père refuse de la faire « réparer ». Son seul espoir est dans ce frère ainé qui doit revenir et l’emmener à l’hôpital. Tous les hommes de ce film sont inquiétants jusqu’à ce jeune homme qui lui fait une cour assidue et tellement insistante qu’on se demande jusqu’où il pourrait aller. Il faut dire que la vie dans ce village n’a pas l’air palpitante. Les immeubles sont sinistres, notamment celui où habite Ada et sa famille dans un appartement minuscule qui favorise la promiscuité. Les jeunes se distraient en faisant la nuit des rodéos de voitures déglinguées ou des baignades dans des lacs glacés ou encore des lancers de pétards contre la façade des immeubles. C’est un environnement assez désespérant dont Ada voudrait s’échapper et dont elle se sent à juste titre prisonnière, son père dominateur, tyrannique lui ayant confisqué sa carte d’identité. Malmenée, surprotégée, écartelée, elle essaye constamment de fuir l’enlacement des bras d’hommes qui l’enserrent jusqu’à l’étouffement. Mais sa volonté n’est pas totalement affirmée. Elle est rétive, incertaine, insaisissable, déchirée par cette blessure intime de ses chairs (« Peut-on être vraiment libre quand on porte jusque dans sa part la plus intime la mémoire des traumatismes d’un pays ? », s’interroge la réalisatrice). 

Pour son second long métrage, Kira Kovalenko réalise un film à la mise en scène maîtrisée, inventive, brillante, d’une grande force. Un film d’une belle sensibilité, que l’on pourrait presque qualifier de lumineux car il y a chez Ada qui desserre ses poings une extraordinaire pulsion de vie. Ancrée dans la réalité de sa région, la réalisatrice a fait appel à des acteurs non professionnels (excepté Ada et son père) et leur fait parler la langue ossète. Son film est une grande réussite et porte toutes les promesses du jeune cinéma russe, en particulier féminin.

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