Bruno Reidal, confession d’un meurtrier

Auteur : Vincent Le Port est un réalisateur et producteur français né en 1986. Il fait ses études à La Fémis et crée en 2012 aux côtés de trois compagnons la société de production Stank. A côté de son activité de producteur il réalise une dizaine de courts métrages dont Le Gouffre (2016) qui a obtenu le prix Jean-Vigo, et La Marche de Paris à Brest (2021). Bruno Reidal est son premier long métrage qui a été sélectionné à la Semaine de la critique à Cannes 2021.

Interprètes : Dimitri Doré (Bruni Reidal) ; Jean-Luc Vincent (Professeur Lacassagne)

Résumé : 1er septembre 1905. Un séminariste de 17 ans est arrêté pour le meurtre d’un enfant de 12 ans. Pour comprendre son geste, des médecins lui demandent de relater sa vie depuis son enfance jusqu’au jour du crime. D’après l’histoire vraie de Bruno Reidal, jeune paysan du Cantal qui décrit ses pulsions meurtrières.

Analyse : Encore un premier long métrage qui révèle un cinéaste de grand talent. Vincent Le Port s’est penché sur un fait divers qui avait, en son temps défrayé la chronique judiciaire mais qui est vite passé aux oubliettes. Un crime atroce, la décapitation d’un enfant de 12 ans. Un cas très particulier car Bruno Reidal, à la demande du médecin psychiatre qui le suit, le Professeur Lacassagne, a écrit ses mémoires, expliqué son contexte familial et social et décrit ses pulsions meurtrières. Récit déroutant car il est l’œuvre d’un être mûr, fin et intelligent. Le réalisateur a choisi de laisser le spectateur à distance, donnant tout au long de son film la parole à Bruno Reidal qui, en voix off, va raconter lui-même son parcours. Une voix douce à l’accent régional du Cantal, sans affect, chirurgicale. Excellent élève au petit séminaire de Saint-Flour il analyse les causes possibles de son geste. Par une série de flashbacks on voit l’enfant à trois étapes de sa vie, chacune incarnée par un acteur différent, jeune enfant au sein de sa famille paysanne, adolescent, puis à l’âge de 17 ans lorsqu’il commet son forfait. On apprend qu’il a eu une mère rude et sans tendresse, qu’il a failli mourir d’une insolation, qu’il a assisté à la mise à mort du cochon que l’on saignait au milieu des cris abominables de la bête, comme on le faisait dans toutes les campagnes, qu’il a subi une humiliation sociale, ses parents le louant à des paysans voisins, qu’il a été masturbé de force par un berger de passage. On apprend que cet adolescent chétif est le septième d’une fratrie de huit enfants et qu’il chérissait son père, disparu trop tôt. On apprend également qu’il est un catholique fervent, qu’il a le sens du péché, notamment lorsqu’il ne peut s’empêcher de se masturber, pulsions de désir qu’il associe à ses pulsions criminelles. Pulsions qui ne concernent que des garçons, car il avoue avoir jalousé la beauté, la force, l’élocution des jeunes de bonne famille qui l’entourent. Pulsions qui se réveillent lorsqu’il voit le cou propre et net de ces garçons. L’habileté du cinéaste, qui rend ce film si intéressant malgré l’horreur du geste, est que, suivant pas à pas la confession de Reidal, la voix commande aux images. Le crime est montré indirectement au début, la caméra s’attardant uniquement sur le visage de Reidal tandis qu’il coupe avec effort le cou du jeune garçon et qu’il reçoit une giclée de sang sur sa chemise. Une des rares fois où un sourire s’esquisse sur ce visage fermé, au regard sournois, porté par une tête toujours penchée de côté, comme si la station droite lui était désormais interdite, dans une remarquable interprétation du comédien novice, Dimitri Doré. On reverra la scène du crime de façon très explicite vers la fin du film lorsque nous aurons appris à côtoyer le criminel, comme pour nous signifier que compréhension n’est pas pardon. 

Ce film n’est pas sans rappeler un autre fait divers, porté à l’écran par René Allio Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère… (1976), sur ce garçon qui avait égorgé sa mère, sa sœur et son frère et écrit un mémoire sur ses luttes internes. Ce cas de parricide donna lieu à un ouvrage collectif du même nom, dirigé par Michel Foucault, paru en 1973. Mais alors que l’étude de Michel Foucault avait jeté les bases d’une explication, ici, malgré tous les éléments donnés par Reidal lui-même, sa pulsion demeure une énigme. Tous les traumatismes de son vécu ne suffisent pas à en faire un meurtrier. Est-il fou au sens que donne Michel Foucault ? Vaste question ! Dans sa lucidité Reidal ne s’estime « ni fou, ni criminel ».

Dans ce récit difficile, Vincent Le Port réalise un film à la mise en scène sobre, rigoureuse et maîtrisée, avec une reconstitution précise et méticuleuse de l’ambiance de l’époque, dans de magnifiques paysages. Un film très intéressant, un grand film.

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