La femme de Tchaïkovski

Auteur : Kirill Serebrennikov né en 1969, est un réalisateur russe. En 1992, il est diplômé en sciences physiques à l’Université de Rostov. Avant même d’avoir terminé ses études, il fait de la mise en scène au studio d’amateurs « 69 » et, à partir de 1990, il fait des mises en scènes remarquées dans différents théâtres (Théâtre « Engagement », Théâtre Maxime Gorki). À partir de 1991, il réalise des films pour la télévision de différents types (documentaires, publicités, télé spectacles…). En 1999, il a reçu le Prix national de la meilleure réalisation télévisée et, en 2006, le prix du Festival international du film de Rome. En août 2012, il est nommé directeur du Théâtre dramatique de Moscou Nikolas Gogol. Il réalise plusieurs longs métrages dont, en 2016, Le Disciple qui a reçu au Festival de Cannes le prix François Chalais dans la section Un certain regard, Leto (L’Été) sélectionné à Cannes en 2018, grand prix du long-métrage au Festival International du film d’Amiens et La fièvre de Petrov sélectionné à Cannes 2021. Mais Serebrennikov n’avait pas pu se rendre au festival du fait de son assignation à résidence à Moscou pour un prétendu détournement de fonds publics depuis 2017. Il a été condamné en juin 2020 à de la prison avec sursis, évitant ainsi la peine de 6 ans de prison ferme réclamée par le parquet. Il est aujourd’hui réfugié en Allemagne et a mis en scène Le moine noir de Tchekov au festival d’Avignon 2022. La femme de Tchaïkovski a été présenté en sélection officielle au festival de Cannes 2022.

Interprètes : Odin Lund Biron (Piotr Illich Tchaïkovski) ; Alyona Mikhailova (Antonina Miioukova).

Résumé : Russie, 19ème siècle. Antonina Milioukova, jeune femme apprentie pianiste, épouse le compositeur Piotr Illich Tchaïkovski. Elle lui offre sa passion inconditionnelle, sans rien recevoir en retour.

Analyse : Ce film est un des grands oubliés du palmarès du festival de Cannes, mille pieds au-dessus de la palme d’or (Sans filtre de Ruben Östlund), et qui aurait dû avoir au minimum le prix d’interprétation pour Alyona Mikhailova dans le rôle-titre d’Antonina Milioukova. Un film vertigineux sur la passion tragique que cette pauvre femme a vouée au compositeur sans aucun retour, pas même une once d’affection. Antonina est issue de la petite noblesse moscovite. Elle rencontre Tchaïkovski, alors professeur au conservatoire, lors d’une soirée et tombe follement amoureuse de lui. Elle lui écrit une lettre de déclaration enflammée lui précisant qu’elle ne pourra vivre sans lui. Il accepte de la rencontrer, repousse ses avances puis fini par accepter de l’épouser après qu’elle lui ait fait un chantage au suicide. Ils se marient en 1877 mais il la prévient contre son tempérament difficile, ses habitudes de célibataire et lui propose un « amour calme et fraternel ». Très vite on comprend qu’il est homosexuel que c’est pour lui un mariage de façade pour éviter le scandale, qu’il est cynique, cupide et intéressé par la petite fortune d’Antonina car il a des dettes ; mariage qui ne sera jamais consommé car il hait les femmes qu’il ne peut toucher. Dans une première scène fantastique le compositeur est sur son lit de mort et se réveille en voyant sa femme à son chevet pour lui crier sa haine. Le ton est donné. Frustrée, humiliée, méprisée, elle s’enfonce dans sa névrose, refuse obstinément de voir la réalité et continue de l’aimer désespérément. C’est la description d’une passion ravageuse et d’une forme de folie qui alimente le déni dans lequel s’enfonce cette malheureuse, malgré les avertissements de son entourage. Un film d’une démesure flamboyante à la mise en scène brillante ; une reconstitution historique minutieuse et fastueuse dont les quelques accents baroques sont allégés par des passages oniriques. Une splendide œuvre au noir avec une caméra audacieuse qui chavire, virevolte, ce qui est la marque du réalisateur, de somptueux plans-séquences, une photographie magnifique, des couleurs gris vert d’un univers dans lequel se meut Antonina, peuplé de gens inquiétants, miséreux, qui donnent une impression d’étouffement, de frustration. Qu’on ne s’y trompe pas : ce n’est pas un film sur Tchaïkovski dont on entend de la musique que quelques petites mélodies, mais la vérité sur un être considéré comme une icône, particulièrement en Russie où le film n’est pas distribué, ce qui n’a rien de surprenant.

Certes il nous montre la situation terrible de la femme en Russie en cette fin du 19ème siècle. Mais on peut y voir également la métaphore de la Russie d’aujourd’hui avec son peuple enfermé dans le mensonge et la contrainte. Un film mélodramatique puissant qui ne peut laisser indifférent. 

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