Le retour des hirondelles

Auteur : Li Ruijun, né en 1983 est un réalisateur, chef opérateur, scénariste chinois. Il étudie la musique et la peinture à l’âge de quatorze ans. En 2003, il est diplômé du ministère national chinois de la radio, du cinéma et de la télévision. De 2003 à 2006, il travaille comme réalisateur pour des chaînes de télévision et des fournisseurs de programmes de télévision. Étoile montante du cinéma indépendant chinois, il a réalisé 6 longs métrages, dont The Old Donkey (2010), Fly with the Crane (2012) récompensé à Brasilia et en Chine, River Road (2015), Walking Past the Future (2017), puis Le retour des hirondelles, montrés à Venise, Cannes, Berlin ou Tokyo. Ses films se concentrent sur la relation entre les êtres humains et la terre, la vie rurale, la famille, la vie et la mort, et se déroulent principalement dans sa région natale du Gansu, avec des amis proches et des parents jouant dans ses films.

Interprètes : Wu Renlin (Ma Youtie) ; Hai-Quing (Cao Guiying).

Résumé : C’est l’histoire d’un mariage arrangé, entre deux êtres méprisés par leurs familles. Entre eux, la timidité fait place à l’affection. Autour d’eux, la vie rurale se désagrège…

Analyse : Un film bouleversant, émouvant, sur une infinie tendresse entre deux éclopés de la vie, mariés de force par leur famille pour s’en débarrasser. Lui, Ma Youtie (incarné par l’oncle du réalisateur) est le dernier d’une fratrie et n’est pas marié, un poids pour sa famille qui veut s’en débarrasser. Elle Cao Guiying (incarnée par une actrice renommée), infirme devenue incontinente à cause des mauvais traitements subis dans son enfance, est également un poids pour sa famille. Ce mariage arrangé n’est guère de bon augure. Et pourtant. Dans la bicoque misérable qui leur est allouée, ils s’aident, s’épaulent avec une solidarité, une merveilleuse tendresse qui petit à petit les unis. Elle est pleine d’attention, pour lui ; il lui promet de l’emmener à l’hôpital pour la faire soigner, autant de mots d’amour chez ces êtres simples et tellement émouvants. Il lui marque une fleur sur la main par la pression de grains d’orge, « pour ne pas te perdre » lui dira-t-il. Elle sourit et lui dit son bonheur par le regard. Un amour sans chair, profond et pur, fait de bonté, de tendresse et de respect. Mais peut-il y avoir un bonheur dans la Chine rurale d’aujourd’hui, avec des paysans qui vivent avec des instruments du moyen-âge, dont la seule richesse se résume à un âne, quelques poules et quelques cochons ? Des conditions de vie rudes dont ils se contentent, nous montrant que le bonheur peut être fait de ces mille petits riens du quotidien. Le réalisateur les filme au rythme des saisons, courbés, pliés sur la terre pour en extraire le peu qui les fera vivre, mais ensembles. Il met en scène avec une grande maîtrise sa terre d’origine, la province rurale du Gansu, proche du Xinjiang et de la Mongolie intérieure. Avec une photographie splendide, des cadrages très soignés, des couleurs ocres comme la terre, il réalise un film d’une grande poésie du quotidien, d’une magnifique simplicité. À force de travail Ma et Cao réussissent à produire suffisamment de blé pour pouvoir construire leur maison. Avec des briques de terre séchée qu’ils fabriquent eux-mêmes, elle arrivant à aider malgré sa main et son corps handicapé.e.s, ils arrivent à bâtir une belle maison pour eux, leur âne, leurs poules et leurs cochons. Elle lui dira avec un sourire de contentement et de reconnaissance que jamais de sa vie elle n’aurait imaginé avoir une maison à elle. Cela ressemble au bonheur absolu. 

Pourtant cette belle chronique rurale respire aussi la tristesse. Son titre international est, contrairement au titre français plutôt positif, Return to Dust (« retour à la poussière »), ce qui est la menace constante, et le titre chinois est Caché dans le pays des cendres et de la fumée. C’est dans le second volet du film qui comporte une dimension politique importante. Cette œuvre magistrale a eu beaucoup de succès en Chine lors de sa sortie. Alors pourquoi le gouvernement chinois l’a-t-il assez rapidement censurée puis interdite ? D’abord parce que le parti communiste de Xi Jinping a annoncé en 2021 « la fin de la pauvreté absolue ». Il est donc impensable pour lui de laisser représenter des paysans très pauvres. Ensuite parce que le film montre la politique chinoise qui consiste à chasser les paysans de leur terre pour l’urbaniser. Les autorités locales proposent à Ma et Cao de quitter leur maison moyennant une petite somme et un logement dans un appartement d’un immeuble moderne sans âme ; le couple refuse, et l’âne ? et les poules ? et les cochons ? Malgré la générosité de Ma qui accepte de donner sans contrepartie son sang au membre du parti qui en a besoin, il continue de subir des pressions pour qu’il cède sa modeste demeure. On voit d’ailleurs les mâchoires de bulldozers broyer les maisons de terre. C’est ce qui arrivera finalement à celle que le couple a construit de ses mains avec tant d’amour, et c’est un crève-cœur.  

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