Je suis toujours là

Auteur : Walter Salles, né en 1956, est un réalisateur, scénariste et producteur brésilien. Il grandit en France et aux États-Unis avant de s’installer définitivement au Brésil, son pays natal. Après avoir suivi des études d’économie à l’Université pontificale catholique de Rio de Janeiro, il obtient un diplôme en communication audiovisuelle à l’Université de Californie. Il se fait d’abord connaître dans le milieu cinématographique grâce à plusieurs documentaires à la fin des années 80, avant de réaliser sa première fiction, High art en 1991. La crise économique du pays met un frein à sa carrière. Terre lointaine, co-réalisé avec Daniela Thomas (1995), marque son retour sur le grand écran. Il obtient la consécration internationale avec Central do Brazil (1998) Ours d’or à Berlin, prix d’interprétation allant à l’actrice Fernanda Montenegro. Il reçoit le Prix du Jury au festival de Cannes en 2004 pour Carnets de voyage. Il participe à Paris je t’aime (2006) avec son court métrage « Loin du 16e ». Salles collabore en 2009 avec sa partenaire, Daniela Thomas, pour Une famille brésilienne. Il retrouve la croisette en 2012 avec Sur la route. Après douze ans d’absence il réalise Je suis toujours là pour lequel Fernanda Torres vient d’obtenir le Golden Globe de la meilleure interprétation dramatique, et qui a obtenu le prix du meilleur scénario, co-signé par Murilo Hauser et Heitor Lorega, à la dernière Mostra de Venise.

Interprètes : Fernanda Torres (Eunice Paiva) ; Selton Mello (Rubens Paiva) ; Fernanda Montenegro (Eunice âgée).

Résumé : Rio, 1971, sous la dictature militaire. Un jour des hommes du régime viennent arrêter Rubens, un ancien député, qui disparait sans laisser de traces. Sa femme Eunice et ses cinq enfants mèneront alors un combat acharné pour tenter de découvrir la vérité…

Analyse : Ce film revient sur une des périodes les plus sombres de l’histoire contemporaine du Brésil. La dictature militaire qui de 1965 à 1984 a infligé au pays une période sanglante. Enlèvements, tortures, meurtres ont été le quotidien d’opposants démocrates de gauche ou d’opposants tout court. L’ingénieur Rubens Paiva étaient de ceux-là. Député travailliste il avait dû renoncer à ses fonctions politiques et reprendre son cabinet d’architecte. La première partie montre, malgré quelques signes inquiétants – des hélicoptères lugubres sillonnant le ciel, des vérifications d’identité musclées – la famille de l’ex député qui vit dans une belle maison bourgeoise au bord de la plage, dans le quartier chic de Leblon, dans une atmosphère familiale joyeuse et heureuse. Une mère aimante et attentionnée, un père qui aime chahuter avec ses cinq enfants, on danse, on chante, on écoute Serge Gainsbourg, ou Caetano Veloso, on fait des parties de volley sur la plage. On parle de littérature mais surtout de politique. On aime leur bonheur, malgré le contexte. Mais on constate que Rubens n’a pas renoncé à ses idées. Il sert de boite aux lettres aux résistants. Jusqu’au jour où leur vie bascule. Des hommes sinistres viennent le 20 janvier 1971 demander à Rubens de les suivre pour un interrogatoire de routine. Sans aucun acte d’accusation, sans aucun procès il disparait et ne reparaitra plus. La vie bascule. Sa femme Eunice est également détenue une dizaine de jours dans les cachots sinistres de la police. Elle doit prendre en charge la famille et faire face au manque d’argent. Elle vend la maison, installe la famille à Sao Paulo où elle reprend ses études de droit, devient à 48 ans avocate, défend les malheureux auxquels on veut voler leurs terres et accompagne les familles de disparus. Walter Salles s’attarde surtout sur son personnage, mère courage qui s’est battue pour que l’État reconnaisse la mort de son mari. Un acte de décès lui sera délivré en 1996, fruit d’une lutte de plus de vingt-cinq ans. Le réalisateur s’est inspiré d’une histoire vraie. Walter Salles a bien connu la famille Paiva et les lieux ; il était ami d’enfance des enfants et participait à leur vie. C’est à partir du livre éponyme du plus jeune des cinq enfants de la famille, Marcello Rubens Paiva, qui raconte le courageux combat de sa mère, que Salles a construit son film. Une mise en scène certes classique mais un film fort et nécessaire, œuvre mémorielle qui mêle habilement et de manière très convaincante l’histoire politique d’un pays et le bouleversement qu’elle peut provoquer sur les destins individuels ; un film poignant contre l’oubli, un film déchirant, émouvant et humain, porté par une actrice fascinante, Fernanda Torres, fille de la grande Fernanda Montenegro qui apparait dans le film dans le rôle d’Eunice âgée. Un jeu tout en subtilité et en retenue qui nous montre combien cette mère courage a été admirable, digne, combattive et intelligente dans le malheur. On suit la famille des années 70 aux années 2010 où les enfants ayant grandi et fondé leur propre famille sont toujours réunis et solidaires autour d’une Eunice, qui frappée d’Alzheimer, ne réagit plus qu’aux visions des vidéos des jours heureux. 

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