La Pie voleuse

Auteur : Robert Guédiguian, né en 1953 à Marseille, est un réalisateur, producteur et scénariste français d’origine arménienne. Il fréquente assidument les salles de cinéma durant son enfance et son adolescence. C’est à travers Marseille, et particulièrement le quartier de l’Estaque, qu’il scrute l’histoire de ceux qu’il appelle, en référence à Victor Hugo, les « pauvres gens », ouvriers, salariés, petits patrons, chômeurs, déclassés. Il est au parti communiste de 1968 à 1977. Cinéaste indépendant et fidèle à son équipe d’acteurs de ses début, Ariane Ascaride, sa femme, Jean-Pierre Darroussin et Gérard Meylan, il est l’auteur de 24 longs métrages dont Marius et JeannetteLe promeneur du Champ-de-Mars sur François Mitterrand, Lady JaneL’armée du crimeLes neiges du Kilimandjaro ou La Villa. Ses films ont obtenu de très nombreuses récompenses nationales et internationales, sauf à Cannes, malgré cinq sélections officielles. Il a obtenu quatre grands prix pour l’ensemble de sa carrière dont le prix Henri Langlois (2008) et le prix René Char, décerné par l’Académie française (2014). Ariane Ascaride a obtenu le Prix d’interprétation à la Mostra de Venise dans Gloria Mundi (Voir la fiche du 2 décembre 2019). Après Twist à Bamako (2021), il réalise Et la fête continue ! (Voir la fiche du 21 novembre 2023), puis La Pie voleuse. 

Interprètes : Ariane Ascaride (Maria) ; Jean-Pierre Darroussin (M. Moreau) ; Gérard Meylan (mari de Maria) ; Grégoire Leprince-Ringuet (Laurent) ; Marilou Aussilloux (Jennifer) ; Lola Naymark (Audrey) ; Robinson Stévenin (Kevin).

Résumé : Chargée d’aider des personnes âgées, une sexagénaire doit faire face aux conséquences de ses actes après avoir volé quelques euros chez ses employeurs.

Analyse : On a toujours plaisir à retrouver Guédiguian et sa bande habituelle d’acteurs et actrices. Le réalisateur, après Et la fête continue (2023), revient à son cinéma ensoleillé, en mettant de nouveau en scène ce si beau paysage marseillais, l’Estaque, avec ses maisons aux vues de rêve sur la Méditerranée, et ses personnages savoureux. Un conte social et poétique plein d’optimisme et de bonheur, même s’il peut avoir ses moments de gravité. Maria, aide de vie auprès de personnes âgées et malades est adorable, dévouée, intelligente, attentionnée et a toujours ce sourire réconfortant pour elles. Tous et toutes l’apprécient et lui sont très attaché.e.s. Si Maria leur subtilise quelques euros ou quelques chèques c’est essentiellement pour que son petit-fils, auquel elle a donné le gout du piano, puisque passer le concours du conservatoire car il se montre très doué. Sans cet argent il n’aura aucune chance. Le réalisateur, conformément à ses prises de position politiques, met l’accent sur l’injustice que subissent les oubliés du capitalisme. On pourrait dire que Maria est à ses yeux en état de nécessité. Son entourage la culpabilise mais elle ne se considère pas comme fautive. L’état de nécessité exonère aux yeux de la loi (article 122-7 du Code pénal) de toute qualification pénale. La Cour de cassation en donne une appréciation assez souple en considérant que l’état de nécessité est la situation dans laquelle se trouve une personne qui, pour sauvegarder un « intérêt supérieur », n’a pas d’autre ressource que d’accomplir un acte défendu par la loi pénale. Le réalisateur pose cette question de fond : n’est-ce pas un intérêt supérieur que de vouloir que vos enfants réussissent et ne connaissent pas la vie de galère que vous menez ? qu’ils aient dans la vie les mêmes chances que d’autres ? Ces larcins ne sont pas justifiés par la vénalité de Maria mais par sa préoccupation de l’avenir de son petit-fils. Le seul luxe qu’elle se permet est d’acheter de temps à autre des huitres qu’elle savoure sur sa terrasse en écoutant Arthur Rubinstein. C’est attendrissant et bouleversant. Pourtant elle mène une vie de galère car elle est obligée de rembourser les dettes d’un mari au chômage et joueur. Vie qui risque de s’aggraver car une plainte est déposée contre elle. Malgré ce suspens, c’est un film certes triste par moment mais lumineux, engagé mais doux, léger et poétique. Un film très émouvant, sans aucun misérabilisme, d’une grande humanité, plein d’amour et de compassion à l’image de son réalisateur. Je voudrais pour terminer mettre l’accent sur deux scènes particulièrement émouvantes, la dernière avec un duo magistral entre Ariane Ascaride et Jean-Pierre Darroussin et celle où Darroussin récite la dernière strophe du poème de Victor Hugo, Les Pauvres gens, cher à Guédiguian, que je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous. 

Le pécheur rentre chez lui harassé après une pêche infructueuse. Sa femme lui apprend que la voisine est morte en laissant deux bébés orphelins :

L’homme prit un air grave, et, jetant dans un coin
Son bonnet de forçat mouillé par la tempête :
— Diable ! diable ! dit-il en se grattant la tête,
Nous avions cinq enfants, cela va faire sept.
Déjà, dans la saison mauvaise, on se passait
De souper quelquefois. Comment allons-nous faire ?
Bah ! tant pis ! ce n’est pas ma faute. C’est l’affaire
Du bon Dieu. Ce sont là des accidents profonds.
Pourquoi donc a-t-il pris leur mère à ces chiffons ?
C’est gros comme le poing. Ces choses-là sont rudes.
Il faut pour les comprendre avoir fait ses études.
Si petits ! on ne peut leur dire : Travaillez.
Femme, va les chercher. S’ils se sont réveillés,
Ils doivent avoir peur tous seuls avec la morte.
C’est la mère, vois-tu, qui frappe à notre porte ;

Ouvrons aux deux enfants. Nous les mêlerons tous.
Cela nous grimpera le soir sur les genoux.
Ils vivront, ils seront frère et sœur des cinq autres.
Quand il verra qu’il faut nourrir avec les nôtres
Cette petite fille et ce petit garçon,
Le bon Dieu nous fera prendre plus de poisson.
Moi, je boirai de l’eau, je ferai double tâche.
C’est dit. Va les chercher. Mais qu’as-tu ? Ça te fâche ?
D’ordinaire, tu cours plus vite que cela.

— Tiens, dit-elle en ouvrant les rideaux, les voilà !

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