
Autrice : Maura Delpero, née en 1975 est une réalisatrice, scénariste, productrice italienne. Elle commence sa carrière au cinéma comme assistante de réalisation. À partir de 2006 elle réalise des courts métrages et des documentaires puis en 2019 un premier long métrage de fiction, Maternal, autour de la maternité, sur la rencontre entre deux adolescentes filles-mères dans un foyer qui les accueille, tenu par des sœurs italiennes à Buenos Aires. Vermiglio ou la Mariée des Montagnes est son second long métrage qui a obtenu le Grand Prix du jury, ou Lion d’argent, à la Mostra de Venise 2024.
Interprètes : Tommaso Ragno (L’instituteur) ; Guiseppe de Domenico (Pietro) ; Martina Scrinzi (Lucia).
Résumé : Au cœur de l’hiver 1944, un soldat blessé trouve refuge dans une bourgade du Trentin, au nord de l’Italie, et s’engage dans une relation avec une jeune femme du village.
Analyse : Un film magnifique, d’une époustouflante beauté. Chaque plan est un tableau, avec des clair-obscur, des jeux d’ombre, des couleurs dignes des grands maîtres de la Renaissance, dans des paysages grandioses et sauvages (merci au chef opérateur d’Andreï Zviaguintsev, Mikhaïl Kritchman). On est en 1944 dans le Trentin, à la frontière autrichienne. La guerre n’en finit pas de finir mais elle est loin, comme si elle n’était pas arrivée dans ce coin perdu de montagne, dans ce petit village de Vermiglio, qui tient plus du hameau. La vie s’y déroule sur quelques saisons avec ses rythmes habituels, l’école pour grands et petits, la messe, la confession, les processions, les enterrements, les chants traditionnels, les prières quotidiennes. Les familles sont nombreuses, sept, huit ou dix enfants. C’est le cas de la famille de l’instituteur du village, les Graziadei, avec deux garçons, quatre filles et un nouveau-né. Les grossesses se suivent mais les bouches sont de plus en plus difficiles à nourrir, on compte les pommes de terre et au petit-déjeuner on se contente d’un petit bol de lait que la vache veut bien donner. Chacun a ses secrets, ses désirs cachés, les jeunes filles surtout dont la seule vocation est d’être mariées et d’enfanter car on ne peut payer des études à tout le monde. L’hiver la neige épaisse enveloppe les montagnes qui forment un décor somptueux. Il se dégage une grande sérénité, une atmosphère douce, mélancolique, d’une infinie poésie, qui n’est pas sans rappeler L’arbre aux sabots d’Ermanno Olmi (Palme d’or 1978), le cinéma des frères Taviani ou même le film épique 1900 (Novecento) de Bernardo Bertolucci par la nostalgie qu’il dégage d’un temps passé. Le silence règne souvent, ponctué parfois par les disques qu’écoute le maître d’école sur son vieux gramophone, Chopin, ou les Quatre saisons de Vivaldi qu’il fait écouter aux enfants de l’école, fascinés, car il considère que « c’est de la nourriture pour l’âme ». Lorsque Pietro, sicilien, arrive dans ce village avec un natif qu’il a sauvé à la guerre, tous deux déserteurs, le cœur de Lucia, l’ainée des filles Graziadei, se met à battre. Sans doute l’espoir d’échapper à cette condition qui lui est assignée et de s’affranchir de l’autorité paternelle. Un film très centré sur les femmes, leur condition, le patriarcat primaire profondément enraciné dans cette culture. Autour de ce thème central de la condition des femmes et de leur rôle dans la société, l’autrice aborde bien d’autre sujets, comme la foi, la morale religieuse, le patriotisme, l’éducation, très subtilement la gestion du désir. Ce film est en partie autobiographique. A la suite de la mort de son père, elle s’est intéressée au village dans lequel il avait grandi, dernier d’une fratrie de dix. Vermiglio ou La mariée des Montagnes (que j’aurai personnellement sous-titré La fiancée des neiges, vous comprendrez pourquoi en le voyant), est un film touché par la grâce dont on sort émerveillé.e.s.