
Auteurs : Les frères Dardenne, Jean-Pierre et Luc, nés respectivement en 1951 et 1954 sont des producteurs, réalisateurs, scénaristes belges. Leur cinéma connaît un impact international, notamment grâce au Festival de Cannes, où plusieurs de leurs réalisations ont été présentées et récompensées. Ils font partie du cercle des neuf réalisateurs deux fois lauréats de la Palme d’or (Rosetta, 1999, et L’Enfant, 2005), aux côtés de Francis Ford Coppola, Shõhei Imamura, Emir Kusturica, Bille August, Michael Haneke, Ruben Östlund et Ken Loach. Les frères Dardenne ont élaboré une œuvre cohérente et exigeante. Ils sont aujourd’hui considérés comme les grands représentants du cinéma social européen, au même titre que Ken Loach et Mike Leigh. Ils sont en effet reconnus comme ceux qui en ont renouvelé l’esthétique et la narration grâce à un style concret, épuré et loin des facilités. Ils sont à la tête d’une vingtaine de films dont, avec les deux cités, La Promesse (1996), Le Fils (2002), Le Gamin au vélo (2011), Deux jours, une nuit (2014), La Fille inconnue (2016), et tant d’autres. Jeunes mères a obtenu cette année au Festival de Cannes le Prix du scénario et le Prix du jury œcuménique.
Interprètes : Babette Verbeek (Jessica) ; Elsa Houben (Julie) ; Janaïna Halloy Fokan (Ariane) ; Lucie Laruelle (Perla) ; Samia Hilmi (Naïma).
Résumé : Prises au dépourvu par l’arrivée d’un enfant, cinq jeunes filles tentent d’avancer et de parvenir à une vie meilleure pour elles-mêmes et pour leur enfant, grâce aux éducatrices dévouées du centre qui les héberge.
Analyse : Dans ce film les frères Dardenne innovent en quelque sorte. Dans leurs autres réalisations, ils suivent généralement un seul personnage dans sa trajectoire individuelle : citons notamment Rosetta, L’Enfant, La Promesse, Le Fils, Le Gamin au vélo, Deux jours, une nuit, La Fille inconnue. Cette fois leur récit se décline au pluriel. Ils suivent essentiellement quatre jeunes adolescentes, se retrouvant enceintes à l’âge où on lâche la poupée, dans un contexte social catastrophique. Il y a Jessica qui n’a pas encore accouché et qui veut nouer, de force, un rapport affectif avec sa mère qui l’a abandonnée à sa naissance, Ariane qui au contraire, aimerait couper le cordon avec sa génitrice qui se met toujours dans des situations catastrophiques avec les hommes, envahissante, violente et toxique, qu’elle veut absolument éloigner de son nouveau-né, Perla qui ne s’envisage en mère que dans la perspective d’une vie de famille traditionnelle auprès d’un petit ami pourtant insignifiant, et qui y renâcle ouvertement. Quant à Julie, ex-toxico, la seule sérieusement accompagnée, qui craint à tout moment de retomber dans ses vieux démons. Il y a aussi Naïma, une cinquième jeune mère, qui fête dans la joie son départ de la « Maison maternelle », en prononçant un discours émouvant plein d’espoir et de reconnaissance. Toutes ont une hérédité calamiteuse, abandonnées, maltraitées ou violentées et essaient d’échapper à un déterminisme social tragique. Ce film est émouvant à plus d’un titre. D’abord il faut souligner la remarquable direction d’actrices pleine de tact et d’intelligence. Ces actrices s’impliquent tellement dans leur rôle qu’on a l’impression d’un documentaire tourné avec de véritables protagonistes. Ensuite c’est un film qui met à bas bien des préjugés. Des jeunes filles qui osent dire qu’elles ne veulent pas de leur bébé, préférant qu’il échappe à ce qu’elles ont vécu, qu’il soit dans une famille aimante et aisée, ou des jeunes filles qui osent dire qu’elles ne ressentent rien vis-à-vis de leur bébé (« Je me réjouissais tellement de te tenir contre moi. Je ne sens rien. J’aimerais bien, mais je ne sens rien. Même du lait, j’en ai pas » dira Jessica). Elles trouvent dans cette maison maternelle une aide affective auprès d’un personnel qui ne les juge surtout pas, qui les aide à devenir responsables pour qu’elles puissent prendre leur vie en main, une structure qui les aide financièrement et à trouver un logement pour la suite. Elles trouvent également dans ces maisons une solidarité très touchante, une belle sororité, et l’énergie qui leur manque pour affronter cette vie prématurément cabossée. Un film lumineux, sobre, sans aucun manichéisme, plein de douceur, d’humanité, d’optimisme et d’espoir, qui se termine sur une très belle scène qui rassemble quelques personnes autour d’un piano sur les notes vivifiantes de la Marche turque de Mozart.