La chambre de Mariana

Auteur : Emmanuel Finkiel, né en 1961, est un réalisateur, scénariste français. Il naît d’un père né en France dont les parents et le frère ont été raflés en 1942 lors de la rafle du vel-d’hiv, puis déportés et tués à Auschwitz. Il commence sa carrière en 1979, comme assistant-réalisateur : il travaillera ainsi avec Jean-Luc Godard, Krzysztof Kielowski ou Bertrand Tavernier. En 1995, il passe derrière la caméra et réalise Madame Jacques sur la Croisette, court-métrage autour d’un des sujets récurrents de son œuvre, la Shoah, primé dans de nombreux festivals, César du meilleur court-métrage en 1997 et prix de la qualité CNC. En 1999, il réalise son premier long, Voyages, également récompensé par le César du premier film et du meilleur montage 2000. Après plusieurs courts-métrages, il réalise, en 2001, son second long-métrage, Casting, puis Nulle part, terre promise (2009), Je suis (2012), Je suis ne pas un salaud (2017). Après La Douleur (2017), il réalise La Chambre de Mariana. Parallèlement à sa carrière derrière la caméra, Emmanuel Finkiel est occasionnellement acteur.

Interprètes : Mélanie Thierry (Mariana) ; Artem Kyryk (Hugo) ; Julia Goldberg (Yulia, la mère). 

Résumé : 1943, en Ukraine. Confié par sa mère à une prostituée, un garçon prend conscience à la fois des massacres perpétrés et des mystères de la sexualité.

Analyse : Après deux magnifiques films sur la Shoah, Voyages (1999) et La Douleur (2017), Emmanuel Finkiel adapte le beau roman éponyme d’Aharon Appelfeld (Editions de l’Olivier, 2008). Un vrai défi car l’essentiel du roman raconte le point de vue d’un garçon enfermé deux ans dans un placard. Un défi relevé avec infiniment de finesse et d’intelligence. Le réalisateur tire un magnifique parti de ce lieu d’enfermement, en utilisant les trous, les interstices par lesquels entre la vie, celle de la chambre de Mariana et celle de l’extérieur. Hugo assiste aux amours tarifés, à la violence, au désir, si loin de ce qu’il a vécu dans sa famille juive bourgeoise, de la douceur de son foyer, de l’insouciance dans laquelle il baignait jusqu’alors. Il s’évade alors dans ses souvenirs, faisant revenir le décor du salon de ses parents, la douceur de sa mère, les leçons de son père qui lui recommande de lire et écrire pour que son cerveau ne se vide pas, les jeux avec sa petite cousine Anna sous une table, ou l’irruption des allemands dans la pharmacie de son père lors de son arrestation. Une séquence habile ou les gémissements de plaisir de Mariana se transforment en cris de douleur lors d’une maladie de sa mère. La vie de ce petit garçon de 12 ans bascule sans transition dans un monde adulte fait de désirs, de sexe, de violence et de mort. Un incroyable récit d’apprentissage, l’abandon brutal de l’enfance auquel participe Mariana qui devient dans cette solitude, le centre de sa vie. Elle est belle, sensuelle, porte des robes qui peuvent enflammer l’imagination d’un petit homme en devenir. Elle a la beauté ravagée par les souffrances de la vie, avec l’alcool qui aide à supporter. Elle est gentille, douce, gaie, triste, parfois brutale, l’appelle mon petit chiot, mon joli, l’oublie parfois, le laisse venir dans sa chambre quand c’est possible. Mélanie Thierry, magistrale, fait vivre cette Mariana de manière impressionnante, ayant appris à parler l’ukrainien pour les besoins du film. Tout est filmé à travers le regard de cet enfant sérieux et peu loquace. Il voit également l’extérieur par la fenêtre de la chambre, les allemands qui arrivent en bandes joyeuses au bordel mais aussi qui encadrent fusils au poing une file de juifs dans laquelle il reconnaît sa cousine Anna. Le réalisateur a mis en exergue de son film une citation d’Aharon Appelfeld « Tout ce qui s’est passé est inscrit dans les cellules du corps et non dans la mémoire ». Il a magnifiquement illustré cette phrase car il a réalisé un film de sensations avec un très beau travail sur le son qui nous fait percevoir l’épaisseur du silence ou la tonalité particulière des bruits étouffés à travers cette porte close de placard. Un film d’une grande sensibilité, d’une grande délicatesse qui porte sa part d’espoir et est, malgré certains plans sur l’horreur, une véritable célébration de la vie quand, ayant vu l’innommable, Hugo découvre, grâce à Mariana, dans une scène qui n’est que suggérée mais porteuse d’une grande émotion, le désir de vivre.

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