
Autrice : Hind Meddeb, née en 1978, est une journaliste et documentariste française. Elle est la fille de l’écrivain tunisien Abdelwahab Medded et de la linguiste algéro-marocaine Amina Maya Khella. Elle est titulaire d’un master de philosophie de l’université de Paris-Nanterre et de l’université libre de Berlin, d’un master de sciences politiques de l’École doctorale de Sciences PO Paris, et d’une licence d’allemand LCE (langue et culture étrangère) de l’université Sorbonne-Nouvelle. Elle a été journaliste sur France 24, France-Info et sur Paris Première. Elle a diffusé plusieurs reportages sur Arte, Lebanese Sound of War (2007), La Nouvelle Vague du cinéma égyptien, Electro Chaâbi et Rap tunisien et révolution (2011). Elle participe à plusieurs magazines sur Radio Nova. Elle réalise son premier documentaire en 2008, De Casa au paradis, qui remporte plusieurs prix à l’international. Elle s’est beaucoup intéressé aux révolutions arabes, notamment aux révolutions égyptienne (Electro Chaâbi, 2013) et tunisienne (Tunisia Clash, 2015) qui ont été sélectionnés dans de nombreux festivals et obtenus de nombreux prix. Soudan, souviens-toi, son neuvième documentaire, a été présenté à la Mostra de Venise et au Festival international du film de Toronto.
Résumé : Khartoum, 2019. Après trente ans de dictature, la jeunesse soudanaise qui par ses mots, poèmes et créations défie la répression militaire et lutte pour ses rêves de démocratie.
Analyse : Un beau documentaire sur la parenthèse enchantée de la révolution soudanaise qui a provoqué la chute du dictateur sanguinaire Omar el-Béchir en 2019 jusqu’à l’explosion de la guerre civile en 2023 quand la milice de Mohamed Hamdan Dogolo et l’armée soudanaise d’Abdel Fattah al-Burhane, alliés un certain temps, ont entrepris de se disputer le contrôle du pays. Une guerre civile qui dure toujours et qui à ce jour a fait plus de 150 000 morts et 13 millions de civils déplacés. La cinéaste s’est beaucoup intéressée au Soudan. Elle a réalisé notamment Paris Stalingrad sur un campement d’exilés du Darfour sous les arcades du métro Stalingrad. Elle présentait son film à Cinéma du Réel quand elle a appris la chute du dictateur soudanais. Elle est donc partie rapidement pour couvrir cet évènement. Elle nous donne une vision émouvante d’une révolte essentiellement de la jeunesse, des femmes, sous le signe de la poésie, des chants, de la peinture murale où sont représentés les portraits de ceux et celles qui sont tombé.e.s sous les balles de la répression. Dans un immense sit-in, les jeunes clament leur désir de démocratie et de liberté au terme de près de trente ans d’un dur régime islamiste. Ces femmes sont particulièrement lumineuses, pacifistes, joyeuses, chantent en cœur «Nuit, nuit, comme la révolution est belle de nuit», récitent les vers écrits par un jeune poète soudanais de 21 ans, aujourd’hui réfugié au Qatar, qui s’est mis dans la peau d’un jeune homme tué dans une manifestation contre la dictature : « Souvenez-vous de moi quand la paix reviendra, quand vous reconstruirez le pays, quand vous planterez un arbre et qu’il donnera des fruits au goût sucré. », ou récitent en cœur les vers d’une jeune poétesse qui déclame «Un cadavre remonte à la surface du Nil, il flotte depuis deux jours, c’est un étudiant de première année, égorgé et l’œil crevé, les masques sont tombés, nous avons subi la pire des humiliations, ô peuple, brisons le silence, ou cela vous met-il mal à l’aise ?». La réalisatrice suit spécialement deux jeunes femmes Shajane et Maha, avec lesquelles elle a cheminé durant ces quatre ans. Ces images de la révolution sont particulièrement précieuses car elles ont été très peu documentées en occident. En enjoignant aux soudanais de se souvenir la réalisatrice veut indiquer qu’elle ne fait pas un film sur une révolution ratée, mais sur une révolution qui a été confisquée et simplement ajournée. Mais cet espoir se heurte à une triste réalité. La misère, la famine, l’exode sont le lot commun de ce peuple victime d’une guerre civile qui n’en finit pas. La plupart des protagonistes de ce film comme Shajane et Maha ont quitté le pays. Un très beau film entre espoir et tristesse.