FRANTZ

Auteur : François Ozon est un réalisateur français né en 1967. Il se passionne très tôt pour le cinéma. Il met en scène quelques courts métrages amateurs dans lesquels il fait jouer les membres de sa famille. Après une maîtrise de cinéma à l’Université Paris I, il intègre en 1990 le département Réalisation de La Femis dont il sort diplômé quatre ans plus tard. À sa sortie de l’école, il tourne ses premiers courts-métrages « professionnels », qui lui assureront très vite une certaine reconnaissance dans le milieu du cinéma. Durant dix années il enchaîne les courts-métrages avant de passer au long métrage avec Sitcom (1998). Puis, avec Sous le sable (2000) il rencontre une large reconnaissance du public et de la critique. Suivent des films à succès comme, entre autres, Huit femmes (2001), Ours d’argent de la meilleure contribution artistique, Swimming Pool (2003), Potiche (2010), Dans la maison (2012), Jeune et jolie, présenté à Cannes en 2013, et son avant dernier film, Une nouvelle amie. Son œuvre explore plusieurs champs : le drame intimiste, le mélodrame, parfois le film fantastique, la comédie, le film noir ou le thriller. Le monde féminin l’intéresse tout particulièrement.

Résumé : 1919. Une petite ville allemande. Anna (Paula Beer) se rend tous les jours sur la tombe de son fiancé, Frantz, mort sur le front en France. Elle remarque un jour des roses qu’elle n’avait pas posées. Elle finit par découvrir Adrien (Pierre Niney), dont elle apprendra qu’il est français, et qui est venu se recueillir sur la tombe de son ami allemand. Anna l’attire chez les parents de son fiancé. Mais cette présence, à la suite de la défaite allemande, va provoquer des réactions passionnelles dans la ville.

Analyase : Ce film fera date dans la filmographie de François Ozon. Certes le thème du deuil lui est familier (Sous le sable relate le parcours d’une femme d’âge mur, Charlotte Rampling, en plein déni de la mort de son mari) mais non le film historique avec reconstitution minutieuse de l’époque et du temps. Que l’on aime ou pas ce cinéaste (je suis parfois partagée sur certains de ses films) ce film doit être vu avec un regard neuf. Et c’est un régal.

D’abord pour les thèmes traités. Ozon s’est inspiré d’une pièce de Maurice Rostand (fils d’Edmond) L’homme que j’ai tué (1930), dont Ernst Lubitsch avait tiré un film en 1932, Broken Lullaby. Mais tandis que la pièce et le cinéaste américain se plaçaient du point de vue du jeune français, Ozon a choisit celui des Allemands. Il a voyagé à travers la frontière pour montrer la similitude des réactions de part et d’autre, que ce soit celle des vaincus ou celle des vainqueurs. On sent, palpable, la présence de la bête immonde qui ronge aujourd’hui encore nos sociétés et qui est à l’origine de la montée du fascisme d’un Hitler : le nationalisme étriqué avec la haine de l’étranger et le repli sur soi. Que ce soit l’hymne allemand ou La Marseillaise, ces chants patriotiques d’ordinaire rassembleurs, font ici froid dans le dos tant la hargne et la haine sont sous-jacentes chez ces « patriotes ». Mais il y a aussi la fraternité entre ces deux peuples ; l’art très présent tout au long du film, – la musique (Chopin), la littérature (Verlaine), la peinture (Manet) – est le véritable trait d’union entre ces deux pays. Ozon nous parle donc d’aujourd’hui.

Mais ce n’est pas que cela. Le mensonge, et la culpabilité qu’il engendre, sont également les thèmes forts du film. Toute vérité est-elle bonne à dire ? Le mensonge est parfois un hommage rendu à la vertu. Il peut être une marque de tact et de bienveillance à l‘égard de celui qui le reçoit, et peut permettre d’apaiser les âmes. Mensonges « pieux » ! Je n’irais pas jusqu’à dire, au risque de paraître cynique, qu’il faut donner à chacun la vérité qu’il attend ; certes pas ! Il est toutefois est des circonstances dans lesquelles la vérité est tellement cruelle que mieux vaut la travestir. Pourquoi dire la vérité aux parents de Frantz qui sur leurs vieux jours ne demandent qu’à croire la version qui leur est présentée et qui les réconforte ? Quel intérêt pourrait avoir pour eux de savoir exactement ce qu’il en est ? D’ailleurs Anna l’a bien compris qui leur écrit les lettres lénifiantes qu’ils attendent. La vérité pour la vérité ? Mais qu’est-ce que la vérité ? Vaste débat philosophique !

Ensuite pour la mise en scène précise, rigoureuse et incisive qui donne à ce film une particulière densité provoquant une émotion qui ne lâche pas le spectateur. L’atmosphère de cet immédiat après guerre est remarquablement rendue. Utilisation d’un noir et blanc légèrement sépia très raffiné, élégant et habile, tandis que la couleur un peu diaphane affleure aux moments de vérité, de bonheur, ou lorsque la vie se fait plus légère.

La construction est également séduisante. La fin ne se laisse pas deviner. Le film se dévoile peu à peu, entrainant le spectateur parfois sur de fausses pistes jusqu’à une fin qui distille habilement ses interrogations.

Enfin pour l’interprétation, précise, sobre, élégante. Pierre Niney, enfin débarrassé de l’ombre d’Yves Saint-Laurent, a un jeu subtil, tout en retenue, laissant habilement percer le mystère : dès le début on sent qu’il ment. La langue allemande parlée et susurrée par lui devient belle à entendre. Quant à Paula Beer, au beau visage où perce encore l’enfance, au charme lumineux, c’est assurément une révélation.

Ce film n’a pas fait l’unanimité de la critique. Certains étant allés jusqu’à écrire que l’émotion arrivait tard, bien tard. Je ne partage pas du tout cette analyse. L’émotion est présente du début à la fin du film et on en sort bouleversés.

2 Comments

  1. Mon Dieu, que tout cela est lourd, pesant, grave, empesé, académique, j’ai le sentiment que le noir et blanc ne convient guère à F. Ozon, il se prend pour Heineke, mais on est loin du Ruban blanc !
    C’est curieux d’ailleurs ce raté, car le sujet était suffisamment pervers pour convenir à l’auteur de Jeune et jolie, Une nouvelle amie et Dans la maison, ses trois derniers films que j’ai beaucoup aimés et qui sont dans la manière d’Ozon. Mais là, cette manière a disparu, sa légèreté impitoyable s’est envolée, on a l’impression que soudain Ozon se prend au sérieux, on est catastrophé, on a envie de lui dire :
    — C’est une blague, ce film ? Vous faites ça pour nous faire peur ? La prochaine fois vous allez redevenir vous-même ?

    1. Je ne partage pas ton point de vue et je persiste et signe. Ce film m’a beaucoup plu pour les raisons que j’ai exposées. Mais j’aime tes commentaires au vitriol pour tempérer mon enthousiasme !

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