EN ATTENDANT LES HIRONDELLES

Auteur : Karim Moussaoui, né en 1976 en Algérie, est un réalisateur algérien. Il a été l’assistant de Tariq Teguia, figure du cinéma algérien auquel on doit Rome plutôt que vous, Inland et Révolution Zendj. Il est membre fondateur de l’association culturelle de promotion du cinéma Chrysalide à Alger. Il a également assuré la programmation cinéma à l’Institut français d’Algérie à Alger pendant plusieurs années. Il est l’auteur de deux courts métrages. Son moyen métrage Les Jours d’avant, sélectionné dans plusieurs festivals (dont Locarno, Clermont-Ferrand et Brive) et nommé au César du meilleur court métrage en 2015, a obtenu le Grand Prix du jury au Festival Premiers Plans d’Angers en 2014. Il a été lauréat en 2016 de la Fondation Gan pour le cinéma pour son premier long métrage En attendant les hirondelles, présenté dans le cadre de la sélection Un certain regard au Festival de Cannes 2017.

Résumé : Trois histoires : celle de Mourad, promoteur immobilier avec ses problèmes familiaux et professionnels, celle d’Aîcha, tiraillée entre le mari qu’elle doit épouser et son véritable amour, celle de Dahman, neurologue qui, à la veille de son mariage, est rattrapé par son passé. Histoires qui nous mènent dans un voyage du Nord au Sud de l’Algérie contemporaine hantée par les fantômes de son passé.

Analyse : Karim Moussaoui nous offre un premier film très maîtrisé, habile et intelligent. Au travers de trois histoires il nous décrit une Algérie qui attend toujours les hirondelles qui feront son printemps. Tous ses personnages sont tiraillés entre la force des traditions et de la culture, et leur désir de modernité, de liberté. Entre les traumatismes de la décennie sanglante et l’apparition de nouvelles façons de vivre, de penser, d’exister. Mais le propos n’est pas asséné. C’est avec une infinie subtilité, au fil de leur vie, des dialogues du quotidien, de leurs longs silences, que cette tension transpire. Mourad, personnage qui paraît un peu désabusé, sent qu’il ne maîtrise plus grand chose, ni dans la vie de son fils, ni dans sa propre vie, incapable qu’il est de donner à sa deuxième femme une vie heureuse et épanouie. Lorsqu’il assiste à un tabassage en règle il préfère partir sans porter secours à la victime ni même appeler de l’aide, comme sans doute il l’aurait fait dans les années sanglantes qui ont précédé. Aïcha, jeune fille que son père fait conduire vers la demeure de son futur époux, retrouve dans le chauffeur qui les conduit, Djalil, son véritable amour ; après un geste de grande liberté, elle enfoui ses désirs et ses secrets et rentre dans le rang, même en larme, en acceptant le mari que sa famille lui a choisi. Dahman, neurologue qui attend sa promotion, est rattrapé par son passé, lorsque enlevé par les islamistes, il a assisté à un viol collectif, impuissant. Le réalisateur nous montre ainsi comment passé et présent se télescopent et comment son pays est incapable de surmonter les traumatismes de son histoire récente. Il n’y a pourtant aucun pessimisme, car on sent à travers ces portraits que les éléments du renouveau sont en germe, même si leur éclosion se fait attendre. La liesse de la musique chââbi apporte une note de gaité et de légèreté, fait sourire les personnages, la danse libère les corps et les désirs, même si les notes de Jean-Sébastien Bach donnent parfois leur ton de tristesse.

Ce n’est pas un film à sketchs. Avec beaucoup d’habileté les histoires s’enchaînent par l’intermédiaire de personnages qui passent le relai. Le réalisateur en profite pour nous montrer son pays qu’il aime assurément, du Nord au Sud. De longs voyages en voiture nous montrent les paysages de toute beauté, arides et ocres des Aurès avec des constructions autoroutières modernes. Il nous le montre également dans toute sa diversité ; on passe d’un univers bourgeois d’Alger, à des quartiers désolés où des immeubles entiers non habités semblent des fantômes, à la pauvreté de l’habitat de la campagne. Par l’empathie envers ses personnages et l’humanité de son regard, le réalisateur voudrait nous aider à comprendre l’Algérie moderne et à l’aimer, car nul désespoir ne se dégage de son film et il nous indique même les raisons d’espérer d’une société à la fois sclérosée et dynamique tout de même.

Dernière habileté du réalisateur : son film reste ouvert. On suit le destin d’un quatrième personnage qui semble avoir pris le relai tandis que s’achève le film comme pour indiquer au spectateur qu’il est laissé à sa propre imagination.

 

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