Lettre à Franco

Auteur : Alejandro Amenábar, né à Santiago du Chili en 1972, grandit en Espagne. Après son 1er film Tesis(1996) qui fait l’ouverture à Berlin la section Panorama et remporte cinq Goya, il réalise Ouvre les yeux (1997), thriller fantastique naviguant entre rêve et réalité, porté par le couple Eduardo Noriega / Penélope Cruz, qui devient rapidement l’un des plus gros succès du cinéma espagnol. En 2001, âgé d’à peine 28 ans, il se lance dans la réalisation de son premier film en langue anglaise, une fable fantastique Les Autres, avec Nicole Kidman. Deux ans plus tard, Mar Adentro (2004).  Après une absence de six ans, il est de retour avec Agora (2009) à Cannes. Le thriller Régression (2015) est un échec.

Résumé : Espagne, été 1936. Fort de ses succès militaires, le général Francisco Franco prend les rênes de l’insurrection. Le célèbre écrivain Miguel de Unamuno décide de soutenir publiquement la rébellion militaire avec la conviction qu’elle va rétablir l’ordre. Alors que les incarcérations d’opposants se multiplient, Miguel de Unamuno se rend compte du vrai visage de cette sinistre dictature. 

Analyse : Ne vous attendez pas à un film à la mise en scène époustouflante, à la grande inventivité cinématographique. C’est un film historique très classique, didactique, sage et académique, sans souffle particulier mais qui a l’avantage de traiter d’un pan de l’histoire espagnole peu connu des français. Le réalisateur se penche sur les années les plus noires de l’histoire de son pays, la montée du fascisme dans les premières années de la guerre civile et de la dictature qui l’accompagne qui durera près de quarante ans.  Un fascisme qu’il présente sous deux aspects : celui du visage débonnaire, falot, insipide et banal de Franco qui semble vivre des évènements qui le dépassent, et celui de son entourage, avec les sourdes luttes de pouvoirs qui l’animent, dont les représentants sont décrits avec force dans leur folle idéologie, incarnés en particulier par le sinistre bouffon, Millàn-Astray, borgne et manchot, créateur de la Légion étrangère espagnole et auteur du fameux « Viva la muerte ». Il décrit la manière à peine croyable dont ces hauts gradés ont porté au pouvoir celui qui se révèlera fourbe et manipulateur, qui aura une des plus longues vies de dictateur en Europe, qui a semé la terreur parmi les gens de gauche et les francs-maçons espagnols. 

Mais ce n’est pas le propos essentiel du film. Le réalisateur s’attache surtout aux pas du grand écrivain, poète et philosophe, Miguel de Unamuno, 72 ans en 1936, doyen de l’université de Salamanque, auteur du « sentiment tragique de la vie », républicain convaincu, qui soutient l’arrivée de la junte au pouvoir craignant les exactions des « rouges ». En tant qu’intellectuel il se croit au-dessus des exigences politiques en refusant de traiter les dossiers d’épuration. Le film montre la progression de son désarroi, jusqu’au moment où il finit par comprendre la barbarie de cette dictature, notamment lorsqu’il voit ses amis de gauche disparaître et qu’il apprend l’exécution de Federico Garcia Lorca. Approche toute en finesse, magnifiquement portée par l’acteur Karra Elejalde, emblématique du conflit intérieur et du mal-être des intellectuels qui n’arrivent pas toujours à mesurer la portée de leur engagement, enfermés dans leur tour d’ivoire, dépassés qu’ils sont par une réalité qu’ils n’arrivent même pas à imaginer. La progression de cette prise de conscience culmine à la fin du film lorsque, assumant les conséquences de son erreur au péril de sa vie, il prononça le courageux discours, à l’occasion de la Fête de la race espagnole, qui se termine par le fameux « Vous vaincrez mais ne convaincrez jamais », devant un public de fascistes haineux, insultants, prêts à le lapider. Ce discours entraînera la révocation et l’assignation à résidence du philosophe, qui mourra peu après d’un infarctus. 

Ce film a le mérite d’éveiller notre vigilance contre la montée des populismes, d’une triste actualité dans l’Europe d’aujourd’hui, et nous donne l’espoir que l’intelligence, la culture, la réflexion intellectuelle sont les meilleures armes contre la peste brune et sa terrifiante idéologie. 

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