Festival de Cannes 22 mai 2023

Justine Triet fait partie d’une génération de jeunes cinéastes français. Elle n’est pas inconnue du festival de Cannes où elle a été révélée en 2013 pour La Bataille de Solférino dans la sélection ACID, et pour Sibyl en compétition officielle à Cannes en 2019. Elle est de retour dans la compétition officielle pour Anatomie d’une chute. Un film qui semble faire l’unanimité en sa faveur. C’est une magistrale dissection du couple que Triet a coécrit avec son compagnon, le cinéaste Arthur Harari. Sandra, Samuel et leur fils malvoyant de 11 ans, Daniel, vivent dans un coin isolé de montagne. Samuel est retrouvé mort au pied de sa maison par son fils revenu d’une promenade avec son chien. Que s’est-il passé ? suicide ou homicide ? Une enquête est ouverte. Sa femme est suspectée et bientôt inculpée malgré le doute. Un an plus tard s’ouvre le procès et Daniel y assiste. Dès les premières scènes la réalisatrice installe une situation de tension dans le couple. Ils sont tous deux écrivains mais elle a réussi et lui n’arrive pas à terminer un roman ; il enseigne à l’université faute de pouvoir assouvir sa passion. Le film interroge ce mystère : pourquoi un homme chute-t-il ?  C’est ce que tentera de déterminer l’enquête d’abord puis le procès qui devient le cœur du film. La réalisatrice le met en scène tout en se détachant des codes du genre. Un procès passionnant où les problèmes du couple et leurs récriminations sont examiné.e.s au scalpel, frustration, jalousie. Samuel dit qu’il n’a pas assez de temps pour lui, qu’il s’occupe trop de l’enfant et du reste. De plus Sandra l’a trompé, combien de fois ? et elle a récupéré une idée géniale de son roman inachevé qui lui a permis de réussir. Le montage est très astucieux. Samuel avait l’habitude de tout enregistrer, y compris ses disputes avec Sandra, notamment la veille de sa mort. Le tribunal écoute et le spectateur a l’image en plus. Quand Daniel se remémore une conversation avec son père pendant un trajet en voiture c’est Samuel qui apparait à l’écran mais c’est la voix de son fils. Au cours de ce procès l’intimité du couple est mise à nue, devant leur fils d’une intelligence et d’une lucidité peu ordinaire, qui aura d’ailleurs le dernier mot. On assiste à la faillite d’un couple où chacun semble avoir ses bonnes raisons d’en vouloir à l’autre. Ce qui rend la situation de Sandra très ambigüe. Un film magnifique, passionnant de bout en bout, qui ne prend pas partie, laissant au spectateur la liberté de se faire une opinion. Une Palme probable et souhaitable.

Quelle joie de retrouver Aki Kaurismäki, lui qui avait décidé d’arrêter le cinéma en 2017. C’est un réalisateur, scénariste et producteur finlandais de 67 ans. Il a une filmographie très fournie, 21 longs métrages. Il est très influencé par la Nouvelle vague française, et il a souvent travaillé avec des acteurs français dont Jean-Pierre Léo et André Wilms. Il a obtenu le Gand Prix à Cannes 2002 pour L’Homme sans passé, le Prix Louis-Delluc en 2011 pour Le Havre avec André Wilms et sa muse Kati Outinen, l’Ours d’argent à la Berlinale de 2017 pour L’autre Côté de l’espoir. Son dernier film Les Feuilles mortes est en compétition pour la Palme d’or. Pourquoi ce film ? le réalisateur nous donne son point de vue. C’est en réaction à son « angoisse face à des guerres vaines et criminelles ». Holappa et Ansa, deux sous-prolétaires finlandais, mènent des existences désespérément solitaires, et précaires. Lui, travaille comme ouvrier sur des chantiers dont il se fait systématiquement virer en raison de son alcoolisme. Elle, vient de perdre son emploi de magasinière dans un supermarché pour avoir « osé » voler un sandwich avarié promis à la poubelle… Ils se rencontrent, se perdent, finissent par se retrouver pour enfin faire vivre cet amour tant désiré. On retrouve le même monde, la même tristesse profonde, avec en plus des nouvelles constantes à la radio de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. On a l’impression qu’il fait toujours le même film, mais chaque fois ce magicien nous séduit. Le rouge le bleu sont toujours dans les décors. On y retrouve également son rythme, les lieux qu’il aime mettre en scène, le cinéma, où ils sont allés voir The Dead Don’t Die de Jim Jarmusch, les bars de quartier, les bandes de musiciens locaux. Et toujours le même hommage au cinéma, Godard, Besson sont cités, et le chien d’Ansa s’appelle Chaplin. Une tristesse tempérée par l’humour à froid qui plus que jamais est au rendez-vous. Une vraie pépite qui rend heureux et que je souhaite vivement voir figurer au palmarès.

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