Borgo

Auteur : Stéphane Demoustier, né en 1977 à Lille, est un producteur et réalisateur français. Diplômé de sciences politiques et d’HEC, il commence sa carrière au Ministère de la Culture, dans le département de l’architecture, où il produit et réalise des documentaires, avant de décider de quitter son poste pour se lancer dans le cinéma. En 2005-2006, il suit la formation de l’Atelier Ludwigsburg-Paris, organisée par la FEMIS et la Filmakademie Baden-Württenberg. Il est l’auteur de quatre longs métrages, Terre battue en 2014, Allons enfants en 2018 et La fille au bracelet en 2019 (voir la fiche du 19 février 2020), Borgo (2023). Il est l’auteur d’une série télévisée L’Opéra. Il est le frère de la comédienne Anaïs Demoustier et de Camille Demoustier (créatrice de bijoux).

Interprètes : Hafsia Herzi (Melissa) ; Moussa Mansaly (Djibril, le mari) ; Louis Memmi (Saveriu) ; Michel Fau (le commissaire) ; Pablo Pauly (le brigadier) ; Florence Loiret Caille (la directrice) ; Cedric Appietto (Joseph) ; Henri-Noël Tabary (Anto).

Résumé : En Corse, une surveillante de prison se retrouve prise au piège d’un dangereux engrenage après avoir accepté de rendre service à un ancien détenu.

Analyse : Stéphane Demoustier réussit un film complexe qui mêle le genre du polar carcéral à l’étude de la psychologie d’une gardienne de prison qui glisse lentement dans un engrenage mortifère. A partir d’un fait divers, l’assassinat à l‘aéroport de Bastia en 2017 de deux chefs de la mafia en Corse pour lequel les commanditaires avaient reçu des informations d’une surveillante de prison, le réalisateur brode une fiction subtile et passionnante. La matonne, Mélissa, surnommée Ibiza par les codétenus, remarquable Hafsia Herzi, est un personnage insaisissable. Elle parait forte, bien dans son métier, droite, précise, carrée. Et pourtant on la découvre fragile moralement. Le réalisateur nous laisse trouver les clefs de sa personnalité. Est-elle faible, trop gentille ou duplice ? A-t-elle besoin de se valoriser auprès des détenus ? Elle présente, grâce au talent d’Hafsia Herzi, un être complexe, indéchiffrable, parfois incompréhensible. Elle a une part d’humanité. Elle aide volontiers les détenus, achète des cigarettes pour eux, apporte un ventilateur à un asthmatique. Le réalisateur pose subtilement les éléments de la dérive de Melissa. Elle se laisse tutoyer par certains, même si elle proteste mollement, et surtout par un jeune détenu qu’elle a côtoyé à Fleury-Mérogis, au visage d’ange, Saveriu (Louis Memmi, révélation du film), redoutable manipulateur, membre d’un puissant réseau mafieux. La prison offre un modèle peu ordinaire. C’est une prison où les portes des cellules sont constamment ouvertes le jour, où les détenus circulent librement, font leur cuisine, jouent aux cartes, ce qui crée une sorte de familiarité avec les surveillants. « Là-bas, dit-on, ce sont les détenus qui surveillent les gardiens » ! De plus Mélissa vit des moments difficiles. Elle a une lourde charge mentale ; elle vient de s’installer en Corse, n’a pas encore intégré les codes de l’île, ne comprend pas la langue, son couple mixte est en proie au racisme ambiant, elle a des tensions avec son mari qui ne trouve pas de travail, elle doit s’occuper de ses deux enfants turbulents. Ceci suffit-il à expliquer l’engrenage dans lequel elle se laisse glisser sous l’œil parfois incrédule du spectateur ?  Le jeune Saveriu, au charme incontestable, réussit à la faire parler sur ses difficultés passagères. Comme par enchantement, des gens musclés qui savent où elle habite interviennent avec vigueur auprès du voisin raciste, son mari trouve rapidement un stage, alors qu’elle n’a jamais rien demandé. On baigne dans une atmosphère trouble où un pouvoir occulte semble s’imposer qui distille aide pour mieux dominer et intimider. Elle entend des phrases doucement menaçantes comme « Ici, on n’oublie personne et personne ne nous oublie » ou « Ce sont des amis, tu peux leur faire confiance », ou encore « La Corse, tu sais, c’est petit », ce qu’on peut raisonnablement traduire par « on te retrouvera toujours. » La nacelle semble se refermer sur elle, avec les demandes de plus en plus compromettantes de Saveriu. Toutefois elle reste mystérieuse à nos yeux car on ne peut s’empêcher de penser qu’elle aurait pu réagir différemment. Ce qui trouble encore plus sur la personnalité de cette femme c’est qu’on découvre, au moment où elle est interrogée par la police, une grande faculté à mentir avec un aplomb imperturbable.

Accompagnée par la belle musique de Philippe Sarde, la mise en scène habile de Demoustier cadre au plus près ses protagonistes, avec de gros plans sur les visages, dégageant une atmosphère parfois étouffante qui rend l‘engrenage inéluctable. Un film passionnant aidé par l’interprétation magistrale des deux acteurs principaux et des acteurs non professionnels qui jouent les détenus.

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