
Autrice : Shiori Ito, née en 1990, est une journaliste et réalisatrice japonaise. Issue d’un milieu modeste, elle s’est battue pour obtenir des bourses, voyager, étudier, notamment aux États-Unis car son rêve a toujours été de devenir journaliste. Après avoir été droguée et violée par un homme haut placé chez TBS, la télévision publique japonaise, elle écrit un livre, La Boite noire (en Français aux éditions Picquier, 2019), puis réalise un documentaire sur son combat pour obtenir justice et réparation, Black Box Diaries, qui a été nommé aux Oscars cette année dans la catégorie documentaires (une première pour un film japonais).
Résumé : Tokyo 2017. Une journaliste évoque le viol qu’elle a subi par un personnage influent, proche du premier ministre, et sa lutte acharnée pour obtenir justice.
Analyse : Il a fallu bien du courage à cette jeune femme de 28 ans pour mobiliser l’opinion publique sur le viol qu’elle a subi, dans un pays corseté dans ses traditions, ses archaïsmes, ses trafics d’influence, avec un solide système patriarcal, où 4% seulement des victimes de viol osent porter plainte. Journaliste de profession elle a mené l’enquête sur son affaire comme s’il s’agissait d’un cas qu’elle devait instruire dans le cadre de son travail. Ce qui lui a permis de prendre le recul nécessaire. Il faut dire qu’elle avait à faire à forte partie. Conviée en 2015 à un dîner pour discuter de son avenir professionnel avec un célèbre collègue biographe et ami du Premier ministre Shinzo Abe, responsable du bureau d’une grande chaîne de télévision à Washington, elle boit un verre puis semi inconsciente se retrouve dans une chambre de l’hôtel Sheraton Miyako de Tokyo en train de se faire violer. Elle tient depuis un journal quotidien de ses états d’âme et se décide en 2017 à convoquer une conférence de presse pour parler de son cas, fait rare au Japon, initiant ainsi un mouvement #MeToo dans un pays où le viol est tabou. Elle a le réflexe de tout photocopier, tout enregistrer, tout filmer, ses appels téléphoniques, la correspondance, la conférence qu’elle tient avec des femmes journalistes. Elle obtient des soutiens, notamment d’un policier qui a enquêté sur son affaire, « déplacé » depuis, mais également des tombereaux d’insultes et de haine, via les réseaux sociaux bien sûr, mais aussi par des femmes qui la traitent de tous les noms charmants que l’on peut adresser à une femme dans ces cas-là. Une certaine presse remarque même qu’à la conférence de presse le bouton de son chemisier était ouvert … Un mandat d’arrêt est lancé contre le violeur mais le chef de la police, de sa propre initiative décide de ne pas l’interpeller. C’est un long et lourd combat ; la justice est lente à se mobiliser décidant qu’il y a trop d’incertitudes dans son dossier. Pourtant les témoignages du chauffeur de taxi, du portier de l’hôtel, les vidéos de surveillance de l’hôtel, sont très éloquent.e.s. Mais l’affaire est classée sans suite au pénal, seule l’action civile demeure. La force de cette jeune femme est non seulement d’avoir porté son cas sur la place publique, mais surtout de ne pas vouloir présenter le visage d’une victime effondrée et anéantie, comme on l’attend d’elle. Elle continue de sourire, de s’amuser, de s’habiller joliment, décidée à « torpiller le fantasme de la victime parfaite », illustrant l’adage « la honte doit changer de camp ». Pour s’aider à surmonter son traumatisme elle écrit un livre éponyme en publiant son journal et toutes les étapes de l’enquête qu’elle a menée pas à pas pendant huit ans, puis elle réalise un documentaire tiré de son livre, film qui n’est pas distribué au Japon. Mais dans le silence de son intimité on la voit souvent craquer, ne cachant pas son immense détresse. On mesure les terribles ravages que peut faire un viol, même sur les plus fortes comme Shiori Ito. C’est émouvant, poignant et bouleversant. Gagnera-t-elle son procès au civil ? le documentaire vous le dira. Toujours est-il que se sentant menacée, elle vit aujourd’hui à Londres, se refusant, parait-il, à parler japonais. Un documentaire glaçant, courageux et nécessaire.