120 BATTEMENTS PAR MINUTE

Auteur : Romain Campillo est un réalisateur, scénariste et monteur français, né le 16 août 1962 au Maroc. Depuis ses études à l’Idhec (devenu la Femis) dans les années 1980, il suit un chemin atypique. D’abord monteur à la télévision, puis coscénariste fidèle de Laurent Cantet (L’Emploi du temps, Vers le sud, Entre les murs…), il ne réalise son premier long métrage qu’en 2004, à 42 ans : Les Revenants. Ce film (qui inspirera, plus tard, la série de Canal+) évoque, déjà, le traumatisme des années sida, mais par l’allégorie, à travers le miracle d’un retour massif de disparus auprès de leurs proches. Il faut ensuite neuf ans au cinéaste pour signer Eastern Boys, magistrale histoire d’envahissement et de dépossession consentie d’un homme piégé par un jeune homme rencontré Gare du Nord. Puis Robin Campillo redevient scénariste pour Planétarium, de Rebecca Zlotowski (2016), drame de l’aveuglement collectif à la fin des années 1930. Il réalise en 2017 120 battements par minute, Grand prix et prix Fipresci au Festival de Cannes et Prix du public au Festival du film de Cahors.

Résumé : L’action se situe à la fin des années 80 et relate les combats menés par Act Up dans les premières années de sa création, au plus fort de la maladie dévastatrice du sida. Les militants, pour la plupart séropositifs, multiplient les actions violentes contre l’indifférence scandaleuse des pouvoirs publics de l’époque, contre les laboratoires qui, par cupidité, ne donnaient pas suffisamment tôt le résultat de leur recherche pour de nouvelles thérapies. Nathan nouveau venu dans l’association qui n’est pas séropositif tombe amoureux de Sean, militant actif et plein d’une énergie décuplée face à une mort très proche.

Analyse : Ce film tout en parlant de la mort est un hymne puissant et tonique à la vie, au courage, à la lutte de ceux qui se savent condamnés mais ne veulent l’admettre et vivent plus intensément encore, avec un cœur qui bat deux fois plus vite. C’est l’histoire d’une lutte acharnée contre l’ignorance et le mépris pour une maladie considérée alors comme honteuse car née d’amours tabous dans une société qui était encore très corsetée et pudibonde. Dans une mise en scène intelligente et habile, Campillo nous plonge au cœur de cette association, dans ses réunions hebdomadaires où le verbe est libéré, où les échanges sont souvent crus, violents et où les divergences sont exprimées avec la franchise de ceux qui n’ont rien à perdre mais qui croient en leur lutte car ils espèrent pour l’avenir ; non plus le leur mais celui de ceux qui suivent et qu’ils voudraient protéger de leur mort. Réunions où les doigts claquent pour signifier une approbation plutôt que des applaudissements car on n’est pas au théâtre.

L’approche de la mort, l’urgence de vivre pleinement le temps qui reste fait tomber toutes les barrières, celles du langage qui est cru, avec souvent un humour corrosif, celles de la pudeur où l’amour s’expose et se vit avec une intensité que seule l’urgence peut donner. Ce sentiment d’urgence qui n’empêche ni l’autodérision, ni les inimitiés farouches ni les désaccords crument exprimés. Pour traduire cette soif de vie le cinéaste filme au plus près leurs visages, leurs corps parfois meurtris par les signes de la maladie. Il donne un ton de grande justesse à ces relations et à l’atmosphère de ces réunions ayant été lui-même un militant d’Act Up de la première heure ; de même qu’aux actions « coup de poing » qui sont menées tant dans les lycées qu’auprès des laboratoires où des poches de sang fictif sont répandues. Magnifiques plans en plongée de ces militants allongés dans la rue comme des morts (les fameux « die in ») avec des croix sur le corps. On entre pleinement dans l’histoire de ces luttes indispensables, vitales car elles soutiennent leur vie et expriment la colère, l’angoisse la peur et la profonde tristesse qui les habitent tous.

La force de ce film tient aussi dans sa densité car il se déroule essentiellement dans des espaces clos, la salle de réunion, la boite de nuit où ils se donnent avec frénésie au rythme de la house music (orchestrée dans le film par Arnaud Rebotini, un de ses représentants en France) dont le tempo est de 120 battements minutes (comme le rythme d’un cœur qui bat la chamade, d’où le titre du film), l’appartement de Sean et Nathan et l’hôpital. Le cinéaste colle tellement à ses personnages qu’il endosse totalement leur point de vue, sans misérabilisme, sans pathos, sans voyeurisme ; jusque et y compris dans une scène finale où Sean repose sur son lit d’hôpital et reçoit en cadeau un ultime acte d’amour que lui offre Nathan, qui pourrait choquer dans un monde où un ordre moral qu’on croyait dépassé tend de plus en plus à s’imposer.

Intelligence et habileté également lorsque le cinéaste passe en douceur et par petites touches du collectif et du politique à l’individuel, à cette belle histoire d’amour émouvante, sensible, décrite sans fausse pudeur ni hypocrisie avec de magnifiques images de corps qui s’aiment. Équilibre subtil entre le politique et la petite histoire des individus replacée dans une grande fresque historique.

Ce film est également remarquable par son montage dynamique, sec, nerveux, qui mêle en douceur passé et présent, l’actuel et l’historique (un texte sur la Commune de Paris récité pendant les obsèques d’un jeune militant étudiant en histoire), avec des images allégoriques (les particules qui survolent les danseurs dans la boite de nuit et qui se transforment en cellules infectées) ou oniriques (superbes plans de la Seine rouge sang, vœu exprimé d’Act Up).

Une œuvre traversée par la mort mais toute entière saisie par des pulsions de vie, d’énergie et d’amour ; une œuvre nécessaire car si de notables progrès ont été accomplis, grâce notamment aux associations comme AIDES et Act Up, il reste que des millions d’hommes et femmes meurent encore aujourd’hui du Sida dans le monde, et que dans certains pays, comme la Tchétchénie par exemple mais ce n’est pas le seul, les homosexuels sont privés de liberté, parfois torturés ou mis à mort.

Une mention très particulière aux acteurs tous excellents (magnifique Nahuel Perez Biscayart en Sean, Arnaud Valois en Nathan, Antoine Reinartz en président d’Act Up, Adèle Haenel en Sophie, et tous les autres).

Je quitte ce film pour informer mes lecteurs parisiens : j’avais commenté avec grand enthousiasme « Traviata, vous méritez un avenir meilleur » (commentaire du 16 octobre 2016), pièce avec la splendide Judith Chemla. Le spectacle est redonné au théâtre des Bouffes du Nord jusqu’au 30 septembre. Je vous le recommande très vivement.

1 Comments

  1. Merci M.Jeanne, tu as tout dit et même plus grâce à ton dernier paragraphe!
    Oui ce film est puissant, émouvant et percutant mais sera-t-il apprécié à sa juste valeur par unepopulation qui, aujourd’hui, s’enferme de plus en plus dans un ordre moral où ne doit exister qu’une sexualité hétéro normée?
    Marie-Paule

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