3 BILLBOARDS, LES PANNEAUX DE LA VENGEANCE

Auteur : Né d’un père ouvrier dans le bâtiment et d’une mère femme de ménage, Martin McDonagh assiste, à 14 ans, à une pièce de théâtre avec Al Pacino et décide, deux ans plus tard, de quitter l’école pour se consacrer à ses passions : lire, écrire et voir des films. Il ne tarde pas à se diriger vers le théâtre et à se faire remarquer dans ce milieu. Ainsi, il écrit notamment deux trilogies qui connaissent un grand succès. On lui doit aussi plusieurs pièces radiodiffusées. Côté récompenses, il reçoit entre autres le London Critics Circle Theatre Awards du dramaturge le plus prometteur en 1996 et le Laurence Oliver Award dans la catégorie Meilleure pièce en 2004. Désirant passer derrière la caméra, Martin McDonagh commence par écrire et réaliser un court métrage, Six Shooter (2005) pour lequel il remporte l’Oscar du meilleur court-métrage de fiction. Fort de ce premier essai concluant, il passe au long métrage avec Bons baisers de Bruges (2008), qui fait l’ouverture du Festival de Sundance. Quatre ans plus tard, il réalise un second long métrage, 7 Psychopathes. Mais le film déçoit. Le metteur en scène attend à nouveau quelques années avant de présenter son troisième long métrage : 3 Billboards (Les Panneaux de la vengeance), mélangeant là encore violence et humour noir. L’accueil du film est très positif, comme en témoignent ses nombreux prix dans divers festivals prestigieux, notamment meilleure actrice, meilleur scénario original, meilleur film britannique de l’année aux BAFTA Awards, meilleur film dramatique, meilleure actrice, meilleur acteur dans un second rôle (Sam Rockwell), meilleur scénario et meilleur réalisateur aux Golden Globes 2018, meilleur scénario à la Mostra de Venise 2017.

Résumé : Sept mois sans que l’enquête sur la mort de sa fille ait avancé, Milfred prend les choses en main en louant trois grands panneaux publicitaires désaffectés à l’entrée de la ville sur lesquels elle interpelle le très respecté chef de la police : « Agonisante et violée, et toujours pas d’arrestation ! Comment se fait-il, chef Willoughby ? » Son esclandre ne passe pas inaperçu dans la petite ville d’Ebbing dans le Missouri.

Analyse : Les journalistes n’aiment généralement pas les films trop primés. Ils ont l’impression qu’on leur force la main. C’est le cas de Luc Chessel de Libération. Mais, dans l’ensemble, la critique est assez unanime pour saluer dans ce film une œuvre majeure.

Martin MacDonagh, pourtant britannique bon teint, nous donne du middle-west américain une peinture puissante d’une grande densité. Dans une mise en scène toute en sobriété il nous dépeint la vie de personnages souvent stupides, agaçants, englués dans leur racisme et leur homophobie, leurs peurs et leur lâcheté, mais qui ne restent pas ce qu’ils sont et qui en en deviennent attachants. C’est particulièrement le cas des membres de la police. Le réalisateur s’interdit tout manichéisme ; on sent chez lui une certaine compassion pour ces loosers, tout en dénonçant habilement le côté sombre de l’Amérique, l’homophobie, les violences raciales, l’injustice, les voies de fait de la police, la misogynie ambiante, et en réussissant à promouvoir la non-violence et le respect du droit. Dans ce milieu émerge Mildred, éblouissante Frances McDormand, mère courage bouleversante dans sa souffrance et son obstination à faire bouger la police et la bonne conscience populaire pour que soit retrouvé l’assassin et le violeur de sa fille. Avec son allure de justicière, sa froide détermination, en salopette et bandana, dure, rude, le visage renfrogné et rarement souriant, odieuse parfois, n’ayant peur de personne, elle a la réplique leste, cinglante, souvent pleine d’humour. Ce qui fait de ce film une comédie grinçante, dramatique, souvent drôle.

L’habileté du scénario nous fait rapidement comprendre que Mildred n’est pas poussée par la vengeance, contrairement à ce que laisse penser la traduction française du titre, mais qu’elle est d’autant plus forte et déterminée qu’elle est rongée par la culpabilité. Un flash-back nous montre ses rapports tendus et difficiles avec sa fille, à laquelle elle a refusé sa voiture et qu’elle a laissé partir à pied sur cette fatale route isolée. La question de la culpabilité est au cœur de ce film.

L’habileté du scénario nous donne également une galerie de portraits d‘êtres parfois mal dégrossis, violents ou odieux, mais qui ont leur part d’humanité, leurs contradictions et leur bonté, même chez ceux qui paraissent les plus irrémédiablement antipathiques. C’est la force de ce film plein d’humanité, généreux, intelligent et profondément touchant.

L’ombre des frères Coen plane sur ce grand film qui garde pourtant toute son originalité. La violence, l’humour caustique, l’amertume, l’émotion qui émerge quand on ne l’attend pas, ne sont pas sans rappeler No Country for Old Men. La proximité est réelle car Frances McDormand est l’épouse de Joel Coen et l’inoubliable héroïne de Fargo (qui lui a valu un oscar en 1997), et Carter Burwell, responsable de la belle musique country, a travaillé également avec les frères Coen.

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