Le village aux portes du Paradis

Auteur : Mo Harawe, né en 1992, est un réalisateur, producteur somalo-autrichien. Il quitte la Somalie en 2009 pour s‘installer en Autriche où il commence une carrière dans le cinéma. « Je ne maîtrisais pas bien la langue. J’avais des choses à dire mais pas les mots. La littérature visuelle, acquise en regardant des films, m’a permis de m’exprimer avec ce langage cinématographique que tout le monde peut saisir ». Il est surtout connu pour ses courts métrages, au nombre de huit. Il a été récompensé notamment à Clermont-Ferrand pour Will My Parents Come to See Me ? (2022). Le village aux portes du Paradis est son premier long métrage. Il a été présenté à Cannes 2024 dans la section Un Certain Regard (Nouvelle fenêtre). 

Interprètes : Anab Axmed Ibraahin (Araweelo, la tante) ; Ahmed Cali Faarax (Mamargade, le père) ; Cigaal Maxxamuud Saleebsan (Cigaal, l’enfant).

Synopsis : Un petit village du désert somalien, torride et venteux. Mamargade, père célibataire, cumule les petits boulots pour offrir à son fils Cigaal une vie meilleure. Alors qu’elle vient de divorcer, sa sœur Araweelo revient vivre avec eux. Malgré les vents changeants d’un pays en proie à la guerre civile et aux catastrophes naturelles, ils prendront en main leur destinée.

Analyse : Un film d’une très grande beauté formelle, qui donne une autre image de la Somalie. De ce pays on connait surtout la guerre, les interventions américaines pour traquer les djihadistes, les catastrophes naturelles, le point de vue des occidentaux. Les premières images du film, avant même le générique, sont extraites d’un journal télévisé en anglais, de quelque part, qui relate en images la mort d’un djihadiste dont la voiture est explosée par un drone américain. C’est le seul moment où la situation de guerre sera montrée. Le reste du temps elle sera hors champ. La guerre n’est pas le propos du réalisateur qui veut donner une autre vision de son pays, sa beauté, la vie simple des habitants sans aucun misérabilisme, avec leurs souffrances, leur noblesse, leurs joies malgré un contexte parfois anxiogène, à la recherche d’un argent qui manque cruellement, qu’on essaye de gagner, de récupérer de débiteurs qui ne peuvent pas rembourser. Ce n’est que par petites touches que l’on découvre les malheurs de ce pays en proie à une ces guerres civiles oubliées, la menace islamiste, la corruption, le trafic d’armes, les désastres écologiques, les mariages arrangés pour aider les femmes qui ne peuvent exister sans un mari à leur côté. C’est un premier long métrage emprunt d’une grande poésie, par la magie des images somptueuses dues au chef opérateur égyptien Mostafa El Kashef qui a su filmer le vent qui s’infiltre partout et qui devient un des personnages du film. Un film qui n’a aucune prétention, modeste mais exigeant et méticuleux avec de magnifiques cadrages sur les visages beaux et dignes de ses acteurs non professionnels, des plans larges et vastes, des couleurs vives et chatoyantes. Les personnages sont tous attachants et nous font vivre des moments émouvants de grande tendresse. Le père fossoyeur, puis transporteur, puis qui exerce tous les métiers possibles avec courage pour sortir son petit garçon de sa condition et l’envoyer à l’école dans la ville voisine, celle du village (Paradis) ayant fermé faute de moyens. Ce petit garçon d’une dizaine d’années, Cigaal, fin, intelligent et qui exprime tant par ses silences et ses regards. Et puis la tante, Araweelo, tenace, obstinée qui accepte le divorce proposé par son mari plutôt que de supporter une deuxième épouse, qui trouve tous les moyens pour ouvrir sa boutique de couture.

Certains critiques ont souligné la lenteur, donc la longueur du film (2h14). Ceux qui ont vécu en Afrique savent que c’est un continent où l’on sait donner le temps au temps, où l’on sait avoir la patience d’écouter l’autre, de réfléchir à ses propos et de laisser émerger la vérité. Par exemple lorsqu’un différend surgit dans un village le chef de village réunit les villageois sous « l’arbre à palabre » et interroge longuement à tour de rôle chaque participant sur sa santé, celle de chacun des membres de sa famille, son travail etc. Lorsqu’il estime que suffisamment de temps s’est écoulé pour que les tensions se soient apaisées, il aborde alors le différend. La lenteur donnée au temps est une philosophie de vie. Un film lumineux et attachant.

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