MOMMY

Auteur : Xavier Dolan nait à Montréal le 20 mars 1989. Il commence très tôt une carrière d’acteur. Il joue dans un long métrage J’en suis (1997), puis dans La forteresse suspendue (2001) et dans Suzie (2009). Premier long métrage en 2009 : J’ai tué ma mère, présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. En 2010, retour à Cannes avec Les amours imaginaires (Un certain regard). Puis Laurence Anyways en 2012, présenté également à Cannes (Un certain regard). En 2014 son film Tom à la ferme, remporte le prix Fipresci au festival de Venise, et Mommy, présenté cette fois en sélection officielle au festival de Cannes, remporte le Prix du Jury, ex-æquo avec Jean-Luc Godard.

Résumé : Diane, veuve, récupère son fils (16 ans environ) exclu d’un centre pour avoir provoqué un incendie. L’adolescent est violent, impulsif, atteint de troubles graves du comportement et de l’attachement. Ensembles ils tentent de survivre, notamment grâce à l’intervention d’une voisine bègue, Kyla.

Analyse : Les adjectifs fusent : trublion, surdoué, brillant, prodige, génie, petit prince du cinéma … et on serait même tentés d’en rajouter. Ce Mozart du cinéma nous offre du haut de ses vingt cinq ans et après quatre longs métrages qui ne sont pas des essais, un film d’une maturité et d’une intelligence sidérante. Avec l’expérience qu’aurait un juge de la famille en fin de carrière, il nous même au cœur d’une relation mère fils d’une grande complexité et peu banale. Elle, Dié, diminutif de Diane, tatouée, déjantée, haute en couleur, un peu pétasse, sorte de Madame Sans Gêne avec un langage cru et fort peu châtié, d’une vulgarité drôle et attachante quand elle a bu trois bières de trop ; elle se maquille beaucoup, s’habille très sexy avec une audace que l’on reconnaît être celle de son costumier. « Je pense que tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais » n’a-t-il pas dit lors de la remise de son prix du jury à Cannes ? Lui, Steve, exclu d’un centre d’éducation (ou de rééducation) parce qu’il a provoqué un incendie qui a brulé grièvement un de ses camarades, est atteint de troubles du comportement, de l’attachement, et passe de phases d’une violence paroxystique à des moments de calme et de tendresse, ce qui le rend terriblement attachant. Ces deux là s’aiment mais ne savent pas toujours se le dire. L’intervention d’une voisine, Kyla, rendue bègue par les circonstances de la vie, va mettre de l’huile dans les rouages compliqués de cet amour filial. Elle aussi porte ses blessures et c’est la fusion de ces trois êtres massacrés par la vie qui fait la force de ce film qui nous tient deux heures durant dans la crainte de leur futur et dans l’espoir que l’amour peut tout, comme l’a dit Diane à la personne de l’administration qui, en lui remettant son fils, ne lui laissait guère d’espoir pour son avenir. La musique soigneusement choisie par le réalisateur est constamment présente. Un des plus beaux moments du film, le sommet, est lorsque Dié, Steve et Kyla dansent sur la chanson de Céline Dion On ne change pas faisant ainsi sauter tous les blocages et toutes les réserves.

Xavier Dolan n’utilise pas que la musique. Très habilement il nous passe des messages en utilisant savamment un cadrage comme plus personne ne le fait aujourd’hui depuis le cinéma muet. L’essentiel du film est projeté en 1,33 une image carrée et étroite qui cerne les personnages et les scènes de leur vie difficile au plus près, « pour être proche des personnages, pour être près du cœur, pour qu’il n’y ait pas de distraction à gauche puis à droite » nous dit-il ; puis le cadrage s’agrandit lorsque précisément l’horizon s’élargit, lorsque la vie semble sourire, lorsqu’on respire, à deux reprises lors de sorties à trois, heureuses, pleines d’un bonheur contagieux et jubilatoire, ou lors de cette scène si émouvante où Dié imagine l’avenir de son fils, avec remise de diplôme, mariage et enfant.

Ce film est remarquablement aidé par l’interprétation magistrale d’Anne Dorval et de Suzanne Clément, actrices fétiches du réalisateur depuis son premier long métrage, et bien sur du jeune Antoine-Olivier Pilon si juste dans un rôle aussi difficile.

Sans vouloir déflorer la fin du film, assez tragique, on en sort complètement sonnés, la larme à l’œil, mais terriblement heureux. Sacré Dolan !

2 Comments

  1. Merci Marie-Jeanne vous avez trouvé les mots justes pour dire l’émotion que renferme et partage chaque film de cet immense réalisateur! Seul bémol à mon goût dans celui-ci: la musique justement. Oui la chanson de Céline Dion illustre à la perfection ce que dit et sous-entend cette scène merveilleuse mais QUID de ce morceau bateau et « à la mode » durant la scène de skate (« Wonderwall d’Oasis) et enfin Lana Del Rey au générique tombe un peu à côté…juste un avis mais bon Dolan excelle d’habitude dans l’art de montrer la profondeur et la puissance évocatrice d’une chanson dite « de variété » et/ou désuète (les Moulins De Mon Cœur, Bang Bang version Dalida, Céline Dion..) ou au contraire de surprendre avec des artistes plus « underground » (Vive La Fête, Moderat…) donc là je reste sur ma faim. Mais cela reste une toute petite goutte d’huile dans un océan d’eau claire 😉

  2. Ce blog est très intéressant et les critiques agréables à lire. Informations précises, appréciations personnelles sans pathos ni flonflons. J’aime également le style de ces textes. Merci Madame Campana. Hélène

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