Les Banshees d’Inisherin

Auteur : Né en 1970 d’un père ouvrier dans le bâtiment et d’une mère femme de ménage, Martin McDonagh assiste, à 14 ans, à une pièce de théâtre avec Al Pacino et décide, deux ans plus tard, de quitter l’école pour se consacrer à ses passions : lire, écrire et voir des films. Il ne tarde pas à se diriger vers le théâtre et à se faire remarquer dans ce milieu. Il écrit notamment deux trilogies qui connaissent un grand succès. On lui doit également plusieurs pièces radiodiffusées. Côté récompenses, il reçoit entre autres le London Critics Circle Theatre Awards du dramaturge le plus prometteur en 1996 et le Laurence Oliver Award dans la catégorie Meilleure pièce en 2004. Désirant passer derrière la caméra, il commence par écrire et réaliser un court métrage, Six Shooter (2005) pour lequel il remporte l’Oscar du meilleur court-métrage de fiction. Il passe ensuite au long métrage avec Bons baisers de Bruges (2008), retenu au Festival de Sundance. Quatre ans plus tard, il réalise un second long métrage, 7 Psychopathes. Mais le film déçoit. Le metteur en scène attend quelques années avant de présenter son troisième long métrage : 3 Billboards (Les Panneaux de la vengeance) (voir la fiche du 24 février 2018). Le film recueille de très nombreux prix dans divers festivals prestigieux, notamment meilleure actrice, meilleur scénario original, meilleur film britannique de l’année aux BAFTA Awards, meilleur film dramatique, meilleure actrice, meilleur acteur dans un second rôle (Sam Rockwell), meilleur scénario et meilleur réalisateur aux Golden Globes 2018, meilleur scénario à la Mostra de Venise 2017. Avec Les Banshees d’Inisherin le réalisateur reprend l’extraordinaire duo d’acteurs de Bons baisers de Bruges, Colin Farrell et Brendan Gleeson.

Interprètes : Colin Farrell (Pàdraic) ; Brendan Gleeson (Colm) ; Kerry Condon (Siobhan) ; Barry Keoghan (Dominic).

Résumé : Nous sommes au début des années 1920 sur Inisherin – une île fictive, isolée au large de la côte ouest de l’Irlande. Deux compères de toujours, Pàdraic et Colm, se retrouvent tous les jours au pub autour d’une pinte de bière. Du jour au lendemain Colm décide de mettre fin à leur amitié. Abasourdi, Pàdraic essaye de comprendre et tente par tous les moyens de retrouver son ami.

Analyse : Sur un argument mince comme un papier à cigarette, une fâcherie entre deux amis, le réalisateur nous offre un film étrange, âpre, tragique, palpitant, mélancolique et drôle parfois, avec une description sans concessions des êtres de cette île irlandaise imaginaire. Lorsque du jour au lendemain Colm refuse de boire la pinte de bière quotidienne avec son ami Pàdraic, et même de lui parler, on sent chez ce dernier une détresse immense ; il est dévasté comme si sa vie en devenait incompréhensible. Magnifiquement interprété par Colin Farrell, c’est un être naïf, tendre, gentil, peu compliqué, mais capable d’une colère sourde qui peut exploser. Ce conflit serait-il la métaphore de la guerre civile dont on entend les échos au loin ? Progressivement l’absurde va s’inviter dans le film. Car devant le harcèlement de Pàdraic, Colm, intraitable, buté, décide de se mutiler. Mais pas n’importe quelle mutilation : se couper un doigt à chaque tentative de conciliation de Pàdraic, lui le violoniste, lui qui a justifié sa mise à l’écart par le désir d’utiliser le temps qui lui reste à vivre pour se consacrer à sa musique. Absurde ! 

Dans cette île aux paysages somptueux filmée souvent en surplomb, dans des couleurs vives et chaleureuses, la brochette d’habitants est assez tragique. Aucun enfant, donc une population vouée à disparaître. A côté de Pàdraic, un peu bas de plafond et de Colm, colosse tranquille aux réactions, on l’a vu, assez incompréhensibles, il y a le policier, violent, vicieux, buté, ignoble, qui abuse de son pauvre fils, Dominic, l’ami de Pàdraic, débile léger et tellement attendrissant dans sa douce folie. Il y aussi dans le décor une vieille folle qui fait office de sorcière, qui prédit l’avenir, la mort surtout. Comme le dit en substance la seule personne sensée et cultivée dans cette île, Siobhan la sœur de Pàdraic, ils sont tous « creux ». Les animaux, les chiens, les chevaux et surtout le petit âne noir de Pàdraic, apportent la tendresse qui manque tant dans ce monde rude et violent. C’est d’ailleurs la mort de son petit âne qui va déclencher chez Pàdraic une violence sans limites. Siobhan, lucide, finira par quitter l’île, pour son salut. Martin McDonagh en fin portraitiste de l’âme humaine, pose un regard attendrissant sur cette microsociété, sur ces personnages tellement humains qui au fil du temps nous deviennent plus familiers, même si on persiste à ne pas comprendre la réaction excessive de Colm. Mais c’est une fable sur l’absurdité de la condition humaine, qui n’est pas sans faire penser à Samuel Beckett, ou Ionesco. Dans ce contexte le réalisateur aborde des thèmes larges : la force de la fidélité, l’amitié, les liens familiaux, l’isolement des iliens, la dépression, la solitude qu’engendre un quotidien terne, vide et sans horizon, le désespoir existentiel.

Un très beau film en ce début d’année.

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