BELLA E PERDUTA

bella e perdutaAuteur : Pietro Marcello est un réalisateur, directeur de la photographie, scénariste italien de 39 ans. Sa filmographie n’est pas très abondante. Il a surtout été remarqué pour son premier long métrage, La bocca del Lupo (2009), sur un gangster sicilien et les bas-fonds de Gênes. Il a reçu pour Bella e perduta le Prix du jury des jeunes au festival de Locarno en 2015.

Résumé : Tommaso Cestrone, agriculteur, est devenu, malgré les intimidations de la mafia locale, le sauveteur d’un magnifique palais des Bourbons dans la région de Naples, dont la Camorra se servait de dépotoir. Sa mort pendant le tournage fait intervenir un bufflon doué de pensée et le personnage de Polichinelle qui va prendre soin de lui.

Analyse : On se souvient du fameux concert dirigé par Ricardo Muti à Rome en 2011 dans lequel s’est produit un évènement rarissime dans l’histoire de l’Opéra. À la demande du public le chef d’orchestre a fait bisser le fameux Va pensiero du chant des esclaves de Nabucco, en s’insurgeant contre les coupes du budget de la culture qui, a-t-il dit, si elles sont maintenues, alors oui « nostra patria sara bella e perduta », reprenant les termes mêmes du chant.

C’est ce même chant d’amour pour une patrie bella e perduta que nous offre Pietro Marcello dans un conte envoutant, plein de nostalgie, de poésie et d’espoir. Au départ le réalisateur voulait faire un documentaire itinérant filmant son pays du Nord au Sud pour montrer son état désespérant. Mais sa rencontre avec Tommaso Cestone a changé ses projets. Tommaso a réellement existé. Berger dans la région fertile de Campanie, au nord de Naples, il a consacré son temps et son argent à sauver un palais des Bourbons du XVIIIè, la Reggia de Carditello. Ce palais était aux mains de la Camorra qui le pillait et y entreposait des déchets toxiques. Malgré les menaces et les intimidations graves dont il a été victime, Tommaso a entrepris de le restaurer, de le débarrasser de tous ses déchets et de rendre à la vue des italiens ses fresques magnifiques.

Tommaso, surnommé « l’ange de Carditello », meurt pendant le tournage un soir de Noël. Et le documentaire qui devait lui rendre hommage s’est transformé en un conte onirique avec l’intervention de deux personnages essentiels, le bufflon Sarchiapone que Tommaso a élevé et Polichinelle, non celui de la Comedia del’arte, mais le masque napolitain, passeur entre les vivants et les morts.

Grâce à une voix off Sarchiapone nous donne une vision désabusée sur les hommes (« Dans un monde qui nous prive d’âme, être un buffle est un art »). Phrase qu’il répète lorsqu’il sera conduit à l’abattoir, ce qui a l’effet inattendu de nous faire verser une larme sur la mort d’un buffle, symbole de la mort d’un pays. Polichinelle va parcourir la campagne italienne avec Sarchiapone, l’amenant selon les derniers vœux de Tommaso à un vieux fermier, ce qui donne au cinéaste l’occasion d’une part de filmer son pays dans sa splendide lumière avec de magnifiques plans aux images de couleurs vieillies (on voit qu’il a étudié la peinture) rendant l’atmosphère encore plus irréelle, et d’autre part de nous montrer l’état de la paysannerie italienne dans ces contrées du Sud. L’utilisation de la couleur sépia nous montre que les vieux problèmes de l’Italie du sud persistent aujourd’hui encore, désespérément.

Ce film hors norme, mélange de conte de fées et de documentaire, pourra paraître parfois abscons tant le réalisateur utilise des symboles que seuls ceux qui sont familiers de cette région et de sa culture peuvent comprendre. Mais qu’importe ! Ne boudons pas notre bonheur et laissons nous porter par la beauté, la poésie, la mélancolie qui s’en dégagent. Film qui se termine de surcroît sur une note d’espoir : la mairie a racheté le palais et les dernières images nous montrent la fête de l’inauguration de cette restitution au peuple de son patrimoine. L’ange de Carditello, là où il est, est certainement heureux.

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