LE FILS DE JEAN

Auteur : Philippe Lioret est un réalisateur français de 61 ans. Il commence sa carrière au cinéma en tant qu’ingénieur du son auprès de cinéastes comme Jean-Pierre Mocky, Xavier Beauvois ou Robert Altman. Il réalise son premier long métrage en 1993, Tombés du ciel, qui conte les mésaventures de Jean Rochefort dans l’aéroport de Roissy, primé au festival de San Sebastien, où transparait sa capacité à mêler le comique de situation à des préoccupations sociales. Après Tenue correcte exigée, il réalise en 2001 Mademoiselle, brillante comédie romantique. En 2004 il signe L’équipier bâti autour d’un secret de famille ; la famille et ses secrets, thème important pour le réalisateur. Ce même thème qu’il décline, en 2006, dans le beau Je vais bien, ne t’en fais pas, avec la superbe Mélanie Laurent au jeu subtil et intense. Il retrouve ses préoccupations sociales en 2009 dans un drame social, Welcome, dans lequel Vincent Lindon veut aider, à Calais, un jeune immigré à traverser la Manche, puis dans Toutes nos envies, un drame amoureux qui conte le parcours de deux juges qui combattent contre le surendettement. Il faut attendre 2016 pour Le fils de Jean.

Résumé : Mathieu, jeune cadre divorcé et père d’un petit garçon, a perdu sa mère et n’a jamais connu son père. Un jour il reçoit un appel du Canada. Un ami de son père lui apprend que ce dernier vient de mourir et lui a laissé un paquet qu’il voudrait lui faire parvenir. Il apprend également qu’il a deux demi-frères. Mathieu décide de se rendre à Montréal pour l’enterrement de son père, et rencontrer ses frères. Mais cette rencontre est loin de celle qu’il imaginait.

Analyse : Le scénario est une adaptation libre d’un roman de Jean-Paul Dubois, Si ce livre pouvait me rapprocher de toi. Lioret y a trouvé un de ses thèmes de prédilection : la famille et ses secrets. Comme à son habitude le cinéaste aborde son sujet avec un charme discret, infiniment de pudeur et de justesse de ton. Tout est élégance et douceur. Aucune longueur, aucune digression inutile. Le secret de la filiation de Mathieu nous est dévoilé par petites touches avec délicatesse et légèreté.

Quand Mathieu débarque, accueilli par Pierre, l’ami de son père qui lui a annoncé sa mort, il se trouve devant un être bourru et peu aimable qui lui déconseille fermement de ne pas dévoiler sa filiation pour ne pas traumatiser davantage une famille éprouvée par la perte du père. On peut le comprendre mais déjà le spectateur est dérangé par cette consigne. Pourquoi tant d’insistance ? Qu’y a-t-il donc à cacher ? Et Mathieu par ses regards, ses silences éloquents porte cette interrogation muette. Rien ne sera réellement exprimé. Lioret a privilégié la sobriété aux discours trop explicites ; le spectateur aura compris et est laissé à ses émotions.

Egalement, comme dans tous ses films, Lioret a su s’entourer d’acteurs, tous excellents, qui rendent son film très attachant. Pierre Deladonchamps, César du meilleur espoir masculin pour son rôle dans L’inconnu du lac d’Alain Guiraudie, nous donne ici une interprétation toute en finesse, en fausse naïveté et en subtile délicatesse dans l’expression des ses sentiments. On pourrait s’interroger sur le pourquoi de sa démarche. Mais il nous fait magnifiquement comprendre que cette quête du père, qui était-il, de qui suis-je né, renvoie à la quête de soi. Les derniers plans sur son visage radieux nous indiquent qu’il a sans doute en partie répondu à ses interrogations. L’équipe canadienne n’est pas en reste. Pierre incarné par Gabriel Arcand, qu’on avait aimé dans Le déclin de l’empire américain de son frère, Denys Arcand, et plus récemment dans Le démantèlement de Sébastien Pilote, s’empare de son rôle avec sensibilité et talent. On le voit se transformer d’homme rude et peu amène en compagnon attentif, presque joyeux, plein de tact, d’humanité et de tendresse retenue à l’égard de Mathieu. Marie-Thérèse Fortin, la femme de Pierre, dont on devine qu’elle a compris plus qu’elle ne laisse paraître, mais qui se taira pour préserver un fragile équilibre familial. Catherine de Léan, la fille de Pierre, toujours aussi lumineuse.

Ajoutons que les vues magnifiques de la nature canadienne, de la « Belle Province », particulièrement les scènes tournées au bord du lac, donnent toute son ampleur à un film tendre et bouleversant.