MA’ ROSA

m-rosaAuteur : Brillante Mendoza est un réalisateur philippin de 56 ans. Son premier long métrage en 2005, Masahista, obtient en 2005 le Léopard d’or du film vidéo à Locarno. Il est ensuite l’auteur d’une douzaine de film dont certains ont obtenu grand succès en occident : John John (2007), puis Serbis présenté à Cannes en 2008. Kinatay, Prix de la mise en scène à Cannes en 2009, et la même année Lola, présenté à Venise. Taklub, présenté à Cannes en 2015 dans la sélection Un certain regard. Ma’Rosa a obtenu le prix d’interprétation féminine à Cannes en 2016.

Résumé : Ma’ Rosa tient une petite échoppe avec son mari Nestor dans une rue pauvre de Manille où l’on trouve le petit nécessaire à la vie quotidienne. Pour arrondir les fins de mois elle revend des sachets de drogue. Sur une dénonciation, la police débarque et les emmène au commissariat où les policiers leur demandent 200 000 pesos (environ 4 000 €) pour les libérer. Avec le montant saisi et la dénonciation de leur dealer ils doivent encore 50 000. Leurs enfants par divers moyens tentent de rassembler cette somme énorme pour eux.

Analyse : Ma’ Rosa est un film qui ne surprend guère dans la filmographie de Brillante Mendoza. On y retrouve la plongée quasi documentaire du réalisateur dans la réalité la plus sombre de son pays, l’état précaire d’une partie importante de sa population, le problème récurrent de la recherche d’argent qui manque si cruellement, les relations au sein de la famille. L’impression de documentaire est accentuée ici d’une part par le fait que le réalisateur s’est inspiré de faits divers (« La situation misérable de cette femmes est celle de 80% de la société philippine. Je raconte le pays tout entier à travers elle » dit-il) ; d’autre part par le fait que Mendoza a filmé tout son long métrage caméra à l’épaule, suivant jusqu’à l’essoufflement et au flou des images ses personnages dans les rues sombres, encombrées, misérables de Manille, sous une pluie diluvienne qui transforme en peu de temps les rues en cloaques immondes. La nervosité de la mise en scène ne laisse aucun repos au spectateur et donne une telle impression de vérité que l’on ressent presque physiquement cette moiteur et l’odeur de ces ruelles de même que la tension palpable qui règne dans le commissariat.

Sa quête du réalisme sacrifie volontiers à l’esthétique. Les images ne sont pas soignées, parfois floues, comme les images de son pays dont il dénonce inlassablement les dérives sans polémiquer pour autant. Témoignage terrible et saisissant du petit monde de la rue vivant, dans la pauvreté et le sordide, de petits arrangements mais de solidarité aussi. Ce qui ne veut pas dire que ce film ne soit pas écrit, que la mise en scène ne soit pas maîtrisée ou que les longs plans séquence manquent de force.

Sa caméra vérité produit un autre effet surprenant : celui de brouiller les frontières morales. Certes on ne peut éprouver de l’indulgence pour ces flics ripoux ; mais ils sont malgré tout également les victimes d’un système car ils sont eux-mêmes rackettés par leurs supérieurs qui eux-mêmes rackettent les dealers … Mais surtout comment ne pas éprouver sympathie, empathie même pour cette Rosa qui n’est somme toute qu’une revendeuse de drogue ! Toutefois les juristes seraient tentés de plaider ici l’état de nécessité. Sympathie accentuée par la performance de l’actrice Jaclyn Jose, prix d’interprétation à Cannes, au jeu contenu, tout en émotion, au regard qui en dit si long sur ses états d’âme et sur ce qu’elle voit, avec le courage chevillé au corps de ceux qui ne peuvent se permettre de baisser les bras, jusqu’à cette scène finale, tellement émouvante, où ayant atteint ses objectifs, mais à quel prix, elle se permet enfin de craquer doucement, sans effusion, avec de lourdes larmes qui inondent son visage.

C’est un témoignage politique terrible d’une grande force que nous livre ici Mendoza et qui nous rend d’autant plus perplexes et inquiets que l’on ne voit pas comment la corruption qui gangrène cette société et prospère sur le dos des plus pauvres, pourrait s’arrêter.

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