PATERSON

paterson-5-620x412Auteur : Jim Jarmusch, 63 ans est un cinéaste et un musicien américain. Il commence sa carrière cinématographique en devenant l’assistant de Wim Wenders dans le film Nick’s Movie. En 1984, avec son film Stranger Than Paradise, Jarmusch remporte tour à tour la caméra d’or au festival de Cannes et le Léopard d’or au festival de Locarno. Après avoir fait quelques apparitions comme acteur, il fait un premier pas dans le monde du documentaire (Year of the Horse) en 1997. Avec la sortie de Coffee and Cigarettes en 2003 dont la réalisation fut étalée sur près de vingt ans, il revient au noir et blanc. Ses films Broken Flowers et Only Lovers Left Alive, sortis respectivement en 2005 et 2014, sont tous deux sélectionnés en compétition officielle au festival de Cannes.

Le cinéma de Jim Jarmusch est original et très éclectique. Il revisite les westerns ou les films de samouraï. Son goût et son talent pour la musique lui font réaliser des documentaires sur des groupes de musique ou des musiciens comme Neil Young. Mais à travers cet éclectisme Jarmush n’a jamais caché son attirance pour la poésie ; en 1995 il avait mis en scène dans Dead Man une rêverie en noir et blanc autour du poète anglais William Blake, sur une musique de Neil Young. Paterson a été sélectionné à Cannes en 2016.

Résumé : La vie pendant une semaine d’un chauffeur de bus qui écrit des poèmes.

Analyse : Lors de la sortie du film à Cannes le journal Libération avait titré : « brillant essai d’orfèvrerie répétitive ». Effectivement c’est brillant, c’est répétitif et c’est fascinant. Mais, pourrait-on penser, qu’y a-t-il d’intéressant dans ce scénario minimaliste : la vie quotidienne, pendant une semaine, de Paterson qui de manière très routinière refait du lundi au dimanche les mêmes gestes : il se réveille avant que le réveil ne sonne à 6h15, donne un baiser à sa femme endormie, prépare et prend son petit déjeuner, se rend à pied à son travail de conducteur de bus, profite du temps qui lui reste avant l’arrivée de son patron pour écrire un poème dans un carnet secret, écoute les conversations des passagers, puis de retour à la maison il discute avec sa femme, et le soir après diner il promène son chien et fait un arrêt pour boire une bière, toujours dans le même bar. Cela pourrait paraître fastidieux. Mais le génie de Jarmusch en fait un film d’une grande poésie, d’une extraordinaire légèreté.

D’une grande poésie : Paterson vit à Paterson (ce n’est pas le premier trait d’humour malicieux du réalisateur), ville du New Jersey, patrie de nombreux poètes fameux comme William Carlos William – son grand œuvre s’intitule Paterson – et Allen Ginsberg, dont les ombres planent tout au long du film. Il est chauffeur de bus de profession (bus driver) incarné par Adam Driver (tiens tiens !), intéressé par la poésie de Dante Allighieri, d’Emily Dickinson ou de William Carlos William, mais également poète à ses moments possibles. Il n’écrit pas une poésie lyrique ou romantique qui nous parlerait de la lune de la mer du soleil de la mort ou de l’amour, mais une poésie que l’on serait tenté de qualifier d’apoétique, qui capte les vibrations du monde autour de lui, qui se nourrit des conversations entendues dans son bus. La répétition des jours, des images, des mots, sont les rimes du poème que nous offre Jarmuch qui réenchante le quotidien et nous montre que la poésie peut se trouver dans les détails qui traversent la vie de tous les jours, dans les petits moments de chaque jour. À l’image de cette poésie « sur le pouce » initiée par William Carlos William dans ce poème, fameux outre-Atlantique, Juste un mot (« J’ai mangé/les prunes/qui étaient/dans le frigo/et que/sans doute/tu gardais/pour le petit déjeuner/pardonne-moi/elles étaient délicieuses/si sucrées/et si fraiches. »). Poésie limpide, hors du temps, simple, ordinaire, que Paterson écrit à la main, à l’ancienne, lui qui ne sacrifie pas aux oripeaux de la modernité comme le téléphone portable. Poème sur ces boites d’allumettes désuètes qui trainent dans la cuisine. (« Nous avons plein d’allumettes à la maison/Nous les gardons à portée de la main/Actuellement notre marque préférée est l’Ohio Blue Tip »). Les poèmes écrits par Paterson l’ont été, pour les besoins du film, par Ron Padgett, poète contemporain de l’École de New York.

Cette poésie nous montre que le bonheur n’est pas forcément exigeant, qu’il peut se trouver dans les petits riens de tous les jours, dans la beauté simple et ordinaire, dans la routine qui semble très répétitive mais qui peut révéler des variations et des différences si l’on est attentif aux plus petits détails.

Film d’une extraordinaire légèreté également : Autant Paterson est taiseux, placide, rarement souriant, autant sa femme est primesautière et fantaisiste, Laura (l’extraordinaire Golshifteh Farahani), douce foldingue pleine de projets multiples et changeants, obsédée par le noir et blanc au point de tout décorer (les murs du salon, les gâteaux, les étoffes, la roue de secours de la voiture…) et de s’habiller exclusivement de ces deux couleurs. Elle se rêve en chanteuse folk et commande une guitare naturellement en noir et blanc. Elle rêve aussi de faire fortune grâce à ses petits gâteaux nappés de noir et blanc qu’elle vend sur le marché le dimanche. Ils n’ont pas d’enfants mais elle rêve de jumeaux. Paterson l’aime tellement qu’il se met à remarquer que les jumeaux fleurissent partout autour de lui, dans les parcs, dans la rue, dans le bus, manière de concrétiser le rêve de sa femme. Dans l’univers de Laura nous retrouvons également la répétition comme un clin d’œil de Jarmush qui décidément s’amuse tout en nous amusant : des motifs circulaires partout, depuis les céréales du matin, en passant par l’abat-jour de la cuisine, l’osier du fauteuil, ou tous les ronds qui ornent leurs draps, les rideaux que Laura a repeints, les tenues qu’elle porte qu’elle a décorées elle-même ! Ils vont jusqu’à aller voir des films en noir et blanc, couleurs qui donnent une dimension onirique nous dit Jarmush. Enfin n’oublions pas leur facétieux bouledogue anglais qui donne beaucoup d’humour à tout l’ensemble. Ce film c’est l’art au quotidien ou le quotidien de l’art.

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