SANTIAGO, ITALIA

Auteur : Né en 1953 Nanni Moretti, passionné de cinéma réalise ses premiers courts métrages en 1973. Premier long métrage, en 1976, Je suis un autarcique, puis Ecce bombo en 1978 présenté à Cannes. Sogni d’oro remporte le Grand prix du Jury à Venise en 1981. Suivent plusieurs longs métrages dans lesquels il est également acteur et producteur. Il parle abondamment de lui-même dans ses films, notamment avec Journal intime, prix de la mise en scène à Cannes en 1994, dans lequel il expose son combat contre le cancer. Quatre ans plus tard Aprile puis La chambre du fils, Palme d’or en 2001. En 2006, Caïman, une satire anti-Berlusconi, puis Habemus Papam présenté à Cannes en 2011. Mia madre présenté à Cannes en 2015 était son dernier film avant Santiago, Italia qui est un documentaire.

Résumé : Après le coup d’État militaire du général Pinochet de septembre 1973, l’ambassade d’Italie à Santiago du Chili a accueilli des centaines de demandeurs d’asile. À travers des témoignages, le documentaire de Nanni Moretti raconte cette période durant laquelle de nombreuses vies ont pu être sauvées grâce à quelques diplomates italiens.

Analyse : Comme beaucoup d’italiens, et bien d’autres ailleurs, Nani Moretti a mal à sa gauche. Il a imaginé ce documentaire pour nous raconter « une belle histoire italienne » en passant par le Chili. Le réalisateur s’est toujours défendu de faire un cinéma militant car il est trop habité par le doute, mais il a fait souvent des films politiques, utilisant toutes les armes de la dérision, l’humour étant la meilleure manière de parler de ce qui fâche. Ici il manifeste une certaine gravité et, contrairement à son habitude, reste en retrait. Sauf à deux reprises. Le film s’ouvre sur un plan où on le voit de dos, sur une terrasse, contemplant la ville de Santiago. Il apparaît également dans les dernières images où après avoir interviewé un militaire condamné pour crimes pendant la dictature de Pinochet, il répond à ce dernier qui s’insurge sur le fait que les questions ne sont pas impartiales : « Ma… non sono imparziale » avec un beau sourire dans un visage sur lequel le temps a avantageusement laissé sa trace.

Le film s’ouvre sur la période dite de l’Unitad Popular au moment du triomphe de Salvador Allende, avec des images d’archives sur une population en liesse scandant « El pueblo unido jamás será vencido », cri de ralliement d’un peuple vainqueur. Il s’attarde sur la fin de la révolution, le bombardement du Palais de la Moneda par l’aviation militaire, la dernière allocution douloureuse d’Allende avant son suicide (son meurtre ?). Puis l’installation de la dictature et ses féroces répressions. Ces images sont entrecoupées d’interviews d’artistes, comme Carmen Castillo et Patricio Guzmàn, cinéastes bien connus, mais aussi d’ouvriers, d’artisans, d’avocats, enseignants et autres, en espagnol et en italien, tous des survivants qui ont été sauvés par de jeunes diplomates de l’ambassade d’Italie ; certains d’entre eux se sont installés définitivement dans leur pays d’accueil, mais tous parlent de cette période avec une émotion que le cinéaste laisse venir et une grande reconnaissance envers l’Italie. Témoignages poignants et désespérants. Au-delà de l’horreur, ce documentaire est plein d’espoir devant une Italie et son peuple qui les a accueillis et intégrés, comme pour réparer l’injustice, pour effacer les effets d’une dictature dont ils n’étaient évidemment en rien responsables. Mais on voit venir Moretti. On sait qu’il pense à l’Italie d’aujourd’hui mais ce n’est que dans la dernière interview qu’il laisse dire que l’Italie d’aujourd’hui qui remet les migrants à la mer, est comme le Chili de Pinochet « et même pire » dit l’interviewé. Et c’est en effet assez ahurissant qu’un peuple, que je connais bien, qui est capable d’une grande ouverture et générosité à l’égard de l’autre, puisse se laisser bercer (berner ?) par les sirènes d’un Matteo Salvini. Quelle belle leçon d’histoire et de mémoire !

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