Bacurau

Auteurs : Kleber Mendonça Filho, réalisateur, scénariste et ingénieur du son est né en 1968 à Recife, Brésil. Il est marié avec Emilie Lesclaux qui est productrice du film. Il acquiert d’abord une formation de journaliste puis devient critique de cinéma et programmateur, avant de passer à la réalisation (documentaires et courts métrages primés, notamment à Clermont-Ferrand et Cannes). En 2012 il réalise son premier long métrage qui est un grand succès, Les Bruits de Recife, puis en 2016 Aquarius (Sélectionné à Cannes ; meilleur réalisateur à Biarritz, et meilleure actrice Sonia Braga, qui est Dominga dans Bacurau). Bacurau a remporté le prix du Jury à Cannes 2019.

Juliano Dornelles de Faria Neves est lui aussi natif de Recife (1980). Il travaille avec Mendoza depuis toujours, comme directeur artistique et décorateur des Bruits de Recife et Aquarius, entre autres. Il est également co-scénariste de Bacurau.

Résumé : Bacurau, est le nom d’un petit village de la région du sertão, au Nordeste du Brésil. L’action se passe dans un futur proche. Au début du film le village enterre une matriarche nonagénaire. Quelques jours plus tard les habitants qui n’ont déjà plus d’eau potable, s’aperçoivent que leur village a été rayé de la carte. Des meurtres se produisent et on découvre qu’ils sont le fait d’un groupuscule enragé, commandé par un ancien nazi. Qui sont-ils et que veulent-ils ? La résistance s’organise.

Analyse : Ce troisième film de Kleber Mendonça Filho est différent de ses précédents, même si en toile de fond on retrouve la même préoccupation, la situation politique et sociale du Brésil d’aujourd’hui. Mais ici nous avons une œuvre moins sage, plus flamboyante, plus excessive, plus violente, plus sanglante, mélangeant les genres, allant de la science-fiction, à la fable, au western déjanté et sauvage style John Carpenter très appuyé, au film politique, critique acerbe du Brésil d’aujourd’hui avec ses politiciens véreux, la corruption, la lutte des classes, les riches contre les pauvres, le Nord (américain en particulier) contre le Sud, les blancs contre les colorés. Les premières images sont métaphoriques et annoncent la suite. D’abord le Brésil vu de l’espace, plongé dans l’ombre alors que brillent les lumières des villes des états voisins. Puis la caméra se rapproche et suit un camion-citerne qui frôle à tout instant la sortie de route, qui slalome entre des cercueils répandus sur la route par un camion accidenté qui les transportait, qui passe devant le corps d’un conducteur de deux-roues couché sur le sol, percuté par le transporteur des cercueils que les habitants viennent voler, devant une école désaffectée, devant la carcasse rouillée d’une voiture de police criblée de balles. Tout le village est rassemblé pour l’enterrement de la nonagénaire, Carmelita. Kleber Mendonça Filho nous donne l’image d’un village idyllique qu’il prend le temps de filmer, où il n’y a ni riches ni pauvres, mais une population égalitaire, proche de la nature et de ses traditions, qui mélange les jeunes et les vieux, les gens de toutes professions, qui avec tolérance admet toutes les orientations sexuelles, où le camion des prostituées est garé devant l’école. Une population soudée et solidaire, qui unanimement fait le vide quand le politicien véreux du coin vient les haranguer pour les futures élections et qui l’insulte copieusement en cœur, du fond des maisons.  

Ce film, qui mélange les genres est inclassable. Je reconnais qu’il peut être dérangeant, mais il est d’une telle frénésie, d’une telle vitalité dans le rythme, d’une telle beauté dans les décors, les espaces, les paysages somptueux qu’on lui pardonne quelques excès notamment quand il force le trait dans le clan des « méchants », les affreux américains, suceurs du sang des pauvres. 

Ce film est également une œuvre puissante et sauvage sur la résistance, sur la survie d’un petit village, dans la meilleure tradition des cangaçeiros, dont les habitants prennent une pilule magique avant le combat. Cette résistance, ce cri de libération devient aujourd’hui, semble nous dire Kleber Mendonça Filho, la seule voie possible devant les catastrophes qui s’annoncent avec la montée des extrêmes droites d’ici ou d’ailleurs. Il prend toute sa force quand on le met en perspective avec le Brésil actuel, hypnotisé par les discours xénophobes, machistes et homophobes d’un Bolsonaro qui menace le cinéma indépendant comme les indigènes tandis que l’Amazonie brule. Ce film est un appel que l’on doit entendre et qui donne à réfléchir. 

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