Les intranquilles

Auteur : Joachim Lafosse est un réalisateur et scénariste belge né en 1975. Sorti diplômé de l’Institut des arts de diffusion en 2001, il remporte la même année le Prix du Meilleur court métrage au Festival de Namur pour son film de fin d’études, Tribu. Sa carrière de cinéaste lancée, il réalise en 2004 son premier long, Folie privée, l’histoire d’une séparation conjugale douloureuse. L’année suivante, il participe à l’Atelier du Festival de Cannes, puis se consacre à la mise en scène de deux films qui sortiront en France en 2007, Ça trend heureux et Nue propriété, drame familial présenté à la Mostra de Venise 2006. Il réalise en 2008 Élève libre puis en 2012 À perdre la raison un nouveau drame familial.  Après Les Chevaliers blancs (2015) inspiré par l’affaire de l’Arche de Zoé il revient à l’un de ses thèmes de prédilection, le couple en crise, avec L’économie du couple présenté au Festival de Cannes 2016 à la Quinzaine des Réalisateurs. Les intranquilles a été présenté en sélection officielle à Cannes 2021.

Interprètes : Leila Bekhti (Leila) ; Damien Bonnard (Damien) ; Gabriel Merz Chammah (Amine) ; Patrick Descamps (le père).

Résumé : Leila et Damien s’aiment profondément. Damien est peintre et atteint de bipolarité. Malgré sa fragilité, il tente de poursuivre sa vie avec elle au risque d’user la patience et l’amour de Leila.

Analyse : Joachim Lafosse continue dans ce film son autopsie du couple, que ce soit l’éclatement de la famille (Nue propriété en 2006 ou L’Économie du couple en 2016), ou sa lente destruction (À perdre la raison2012). C’est ce sillon qu’il creuse dans cette histoire d’amour minée cette fois-ci par la maladie mentale, la psychose maniaco-dépressive, ou ce que l’on nomme plus couramment la bipolarité. Un mal sournois, insidieux et terriblement efficace pour déliter lentement le couple pourtant aimant que forment Damien et Leila. Le réalisateur sait de quoi il parle car son père, photographe, a été bipolaire. D’où de grands accents de vérité dans un film sobre, direct qui décrit moins la maladie, même si elle est omniprésente, que ses conséquences sur l’amour du couple. Le film commence pourtant par une scène très apaisée. C’est l‘été ; sur une crique déserte Leila s’est endormie sur le sable. Au large son mari et son fils nagent près d’un bateau. Sur le chemin du retour, Damien décide de quitter le bateau pour rejoindre le rivage à la nage et confie à son fils de 8 ans la responsabilité de ramener seul le bateau. L’inquiétude s’installe qui ne nous quittera pas tout le film durant. 

Damien, que l’on voit surtout dans ses périodes délirantes, refuse de se soigner car il a l’impression que cette suractivité l’aide dans sa création. Il est fantasque, imprévisible, passionné ; il dort très peu, devient incontrôlable et fait vivre l’enfer au quotidien à Leila autant qu’à leur petit garçon Amine. Lafosse le filme au plus près, en très gros plan, tandis qu’il peint. Damien Bonnard qui a été l’assistant de la peintre bruxelloise Marthe Wéry, a un geste juste et sobre qui évite au film de tomber dans la caricature du peintre inspiré. Leila, en plus de sa profession de restauratrice de meubles, s’occupe de tout dans la maison. Elle poursuit Damien pour qu’il prenne son lithium et l’on voit progressivement sa patience et son amour se fissurer devant les frasques de son mari. Elle est exténuée, sur tous les fronts, veille jour et nuit sur lui au détriment de l’attention qu’elle se doit à elle-même, et perd pied progressivement. Les scènes de crise se succèdent mais sans pathos. Tout passe essentiellement par le regard profond de Leila, magnifiquement interprété par Leila Bekhti, toute en retenue et sobriété, malgré une scène salutaire où elle explose enfin.

Un film déchirant, parfois sur le fil du rasoir mais très maîtrisé, qui ne tombe jamais dans la caricature ou la description sèche d’une maladie. Car la maladie n’est que l’occasion pour le réalisateur d’étudier une fois encore l’usure de la relation amoureuse.

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