Tromperie

Auteur : Arnaud Desplechin, né à Roubaix en 1960, entre à l’IDHEC en 1981 d’où il sort diplômé en section « réalisation et prises de vues ». En 1991, il tourne La Vie des morts, moyen-métrage présenté à la Semaine de Critique à Cannes et récompensé par le Prix Jean-Vigo. Ce film de toutes les promesses voit aussi naître une maison de production, Why Not. Avec son premier-long métrage, La Sentinelle, coécrit par Pascale Ferran et Noémie Lvovsky,  Desplechin est propulsé chef de file d’une nouvelle génération de réalisateurs, dont les maîtres ont pour noms Resnais ou Truffaut. Ce film représente la France au Festival de Cannes – comme ses deux films suivants. Choyé par les critiques, habitué de Cannes, Desplechin se lance ensuite dans la réalisation d’un film en anglais, adapté d’une nouvelle de Symons, Esther Kahn (2000).  En 2004 il tourne Rois et reine, présenté à Venise et lauréat du Prix Louis-Delluc. Suivent Un conte de Noël (2008) présenté au Festival de Cannes, Jimmy P. (Psychotérapie d’un indien des Plaines) (2013), Trois souvenirs de ma jeunesse (2015), Les Fantômes d’Ismaël (2017). Desplechin change de style pour son nouveau long métrage, Roubaix une lumière (2019). Tromperie (2021) est présenté à Cannes dans la nouvelle sélection Cannes première.

Interprètes: Denis Podalydes (Philip, l’écrivain américain), Lea Seydoux (l’amante anglaise), Anouk Grinberg (l’épouse), Emmanuelle Devos (Rosalie), Rebecca Marder (l’étudiante), Madalina Constantin (l’espionne tchèque).

Analyse : Arnaud Desplechin adapte le roman autobiographique de Philip Roth, qu’il rêvait de mettre en scène depuis longtemps déjà car Roth est l’un de ses auteurs préférés. Dans un décor quasi théâtral, l’action se passant essentiellement dans le bureau de l’écrivain, il converse longuement avec sa maîtresse, buvant et notant fébrilement ses paroles (il se déclare lui-même « un audiophile, un fétichiste du verbe »). Philip, incarné par Denis Podalydès, nourrit son livre de ces conversations qu’il a avec ses maîtresses, qu’il exhibe comme un chasseur ses trophées : sa maîtresse actuelle, son épouse, son ex-maîtresse new-yorkaise Rosalie qui lutte contre un cancer, une jeune étudiante dépressive retrouvée, une mystérieuse espionne tchèque. L’écrivain est présenté ici comme un séducteur attentif et fasciné, qui vampirise ses conquêtes avec lesquelles il partage ses obsessions, la judéité, le désir, le sexe, l’adultère, la magie et la puissance des mots en littérature (Je voudrais baiser avec les mots dit-il). Des échanges intellectuels, des jeux érotiques, une ronde du désir sont les éléments bruts de la vie dont l’art en saisit les reliefs pour exister (nous dit en substance Desplechin). Avec des touches d’humour, un décor raffiné, une lumière chaude qui enveloppe la grâce et le beau visage de Léa Seydoux, des dialogues savoureux, Desplechin nous dit que le cinéma, la littérature et le désir sont les éléments fondamentaux d’une culture nourricière. Il marie avec une rare harmonie littérature et cinéma, nous offrant un film dense, sensuel, délicat, profondément intelligent, d’une remarquable maîtrise formelle, dans lequel la beauté et l’élégance de la langue (le français, qui n’est celle ni du roman éponyme ni du contexte) sont un vrai plaisir de l’esprit.

La force du film vient également des actrices et des acteurs toutes et tous de grand talent. Elles sont belles, émouvantes, Léa Seydoux et Anouk Grinberg en particulier, très justes de ton et fascinantes dans leur rôle ; Podalydès dans un registre peu familier pour lui, déploie un jeu tout en nuances et séduction.  

Reste une question. Roth, on le sait, aimait les femmes. La publication de son livre autobiographique a accéléré son divorce avec Claire Bloom. Il fait incontestablement preuve d’un donjuanisme assumé. Féministe ou machiste ? Le roman est-il un « effarant traité de machisme intello » (Libération) ? Certes il aime les femmes mais les collectionne, les trompe toutes et les utilise pour son art. La scène entre sa femme et lui est sidérante à cet égard par sa défense culpabilisante pour elle, niant farouchement avoir une maîtresse en se réfugiant derrière son métier d’écrivain, « Je ne peux pas baiser avec des mots » criera-t-il. Ce qui sème le trouble de la part du cinéaste qui s’identifie totalement au romancier, c’est ce procès fictif intenté à Philip par un tribunal féministe pour misogynie, avec des femmes tellement caricaturées qu’on n’aimerait pas les rencontrer dans la vie. 

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