À temps plein

Auteur : Éric Gravel est un réalisateur franco-québécois, diplômé de l’École de cinéma Mel-Hoppenheim de l’Université Concordia de Montréal en 1994. Il est l’auteur de deux courts métrages, Ce n’était qu’un rêve (2004), Eau Boy (2007) et de deux longs métrages, Crash Test Aglaé (2017) et À plein tempsÀ plein temps a été présenté à la Mostra de Venise 2021 dans la sélection Orizzonti où il a reçu le prix du meilleur réalisateur et le prix de la meilleure actrice pour Laure Calamy.

Interprètes : Laure Calamy (Julie) ; Dana Flaque (Amina) ; Anne Suarez (Sylvie) ; Marème N’Diaye (Inès) ; Geneviève Mnich (Madame Lusigny)

Résumé : Quelques jours de la vie d’une mère de famille qui élève seule ses enfants, qui habite en grande banlieue, travaille à Paris, et qui coure, coure toute la journée pour assumer toutes ses tâches quotidiennes et élever dignement ses enfants. Quand en plus éclate une grève générale des transports …

Analyse : On sort de ce film complètement essoré-e d’avoir accompagné au plus près, pendant 85 minutes, Julie qui coure, coure, sans un instant de répit. Julie est la mère de deux enfants en bas âge. Elle habite la grande banlieue et se débat dès le petit matin entre la course chez la nounou pour faire garder les enfants, le RER, son emploi dans un palace parisien où elle exerce le métier de femme de chambre, cheffe de rang, avec la responsabilité d’un travail très méticuleux, d’une précision d’horloge, pour satisfaire les VIP qui ont des exigences à la hauteur du prix de leurs chambres ou suites. Lorsqu’une dure grève des transports survient, c’est la catastrophe. Diplômée d’une école de commerce, elle cherche un autre travail plus conforme à ses compétences. La voilà alors qui jongle avec des rendez-vous d’embauche qui l’obligent à s’absenter en douce de son travail, les retards, les bus de remplacement, les taxis, comptant sur l’entraide du covoiturage ou de l’auto-stop. Elle arrive régulièrement en retard chez son employeur peu compréhensif malgré le contexte, à pas d’heure chez la nounou qu’elle doit calmer en lui faisant du charme. En plus de la grève les difficultés financières s’invitent. Son ex est aux abonnés absents et ne paie pas la pension alimentaire. La banque commence à la harceler. Malgré cela, en mère aimante qu’elle est, elle veut organiser un bel anniversaire pour son fils ce qui l’amène à monter seule en pleine nuit un trampoline dans le jardin. Arrivera-t-telle à tenir ? Cette tension est littéralement la nôtre car le réalisateur nous fait vivre cette course effrénée à laquelle se livre quotidiennement Julie, au plus près d’elle. Jamais la caméra à l’épaule n’aura autant trouvé sa justification : elle ne quitte pas Julie et nous sommes littéralement sur ses talons, avec une musique électronique lancinante, signée Irène Drésel, qui donne au film un ton de thriller. De gros plans sur le visage de Julie quand, assise dans un moyen de transport, elle souffle un peu, nous révèle une femme épuisée au bord de l’effondrement. Julie est terriblement émouvante, si courageuse, si forte et si fragile. Laure Calamy incarne à merveille cette vie trépidante, sur le fil du rasoir, donnant à son personnage une épaisseur, une vérité remarquable. Ce film social est d’autant plus angoissant qu’il décrit non pas une fiction, mais le quotidien de milliers de femmes sur lesquelles pèse en priorité cette « charge mentale », petites fourmis invisibles, nécessaires aux rouages de notre monde moderne, mais sans aucune reconnaissance. Dans une réalisation juste, sans misérabilisme ni démagogie, avec une caméra nerveuse, un rythme soutenu, Éric Gravel signe un beau film social, fort, haletant et passionnant. 

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