La légende du roi crabe

Auteurs : Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis (nés en 1986) sont deux réalisateurs italo-américains. Leurs premières collaborations, le court métrage documentaire Belva Nera (2013) et le documentaire Il Solengo (2015), amorcent un travail qui se concentre sur les récits de la tradition paysanne. Leurs films ont été présentés et primés dans de nombreux festivals, comme au Cinéma du Réel à Paris et au Torino Film Festival. Re Granchio (2021, La Légende du Roi Crabe), leur premier long métrage de fiction, a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes.

Interprètes : Gabriele Silli (Luciano) ; Maria Alexandra Lungu (Emma) ; Enzo Cucchi (le Prince).

Résumé : De nos jours, dans la campagne italienne, de vieux chasseurs se remémorent la légende de Luciano qui s’opposa sans relâche à la tyrannie du Prince de la province. Contraint à l’exil dans la lointaine Terre de Feu, à l’extrême sud de l’Argentine pour un meurtre qu’il a commis sans intention, l’infortuné criminel, entouré de chercheurs d’or cupides, se met en quête d’un mystérieux trésor que seul un crabe sait où il est enfoui.

Analyse : C’est un conte envoutant, plein de poésie, comme en racontaient les vieux à la veillée, autour d’un feu de bois, avant la télévision, lorsque les princes fermaient leur porte aux paysans qui voulaient passer sur leur terre avec leurs moutons pour raccourcir leur trajet, et lorsqu’ils exerçaient leur droit de cuissage. Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis nostalgiques du monde de la ruralité, commencent leur film par un petit prologue : une grande tablée de vieux (vrais) chasseurs, aux gueules rougeaudes, brulées par l’alcool et le soleil, racontent et chantent à la manière d’un chœur antique, l’histoire de Luciano qui se situe, disent-ils, à la fin du XIXème siècle. Le film se déroule en deux chapitres. Le premier nous immerge dans une nature magnifique, apaisante et apaisée, où la lumière est tout en contrastes, les couleurs chaleureuses et nuancées, la Tuscie, vieille région étrusque où le temps s’est arrêté. Luciano (le plasticien Gabriel Silli, au charisme fou, dont c’est le premier rôle), fils rebelle du médecin, flegmatique, sans grand but dans la vie, erre en se soulant. Il ressemble à un sauvage échevelé, avec sa face hirsute, envahie par une barbe abondante qui semble lui manger les yeux. Pourquoi est-il si sombre ? On ne le saura pas. Il est méprisé par les gens du village, ces mêmes paysans vus au début du film, qui ont endossé un rôle qui leur ressemble. Pourtant Luciano est le seul à se révolter frontalement contre le prince qui de surcroit, semble lui voler la femme qu’il aime, Emma, la fille du berger. Un décor champêtre, tourné en 16 mm avec ce grain caractéristique, des clairs-obscurs dignes de tableaux de maîtres lorsque l’on pénètre dans les intérieurs éclairés à la bougie, les gros plans sur ces visages qui ont tant vécus, font toute la magie du film. La deuxième partie a une tonalité très différente. On y retrouve Luciano qui a pris le nom et l’apparence d’un prêtre espagnol, père Antonio, dans la Terre de feu. La langue italienne laisse place à l’espagnole. On passe de la chronique champêtre, à un paysage minéral, où l’aventurier cherche un trésor. La luxuriance laisse la place aux paysages arides, rebelles, immenses, un désert de roches noires, des falaises hostiles qui plongent dans la mer, où Antonio entouré de chasseurs de trésors avides à la mine patibulaire, transporte dans un tonneau un énorme crabe rouge qui seul sait où se cache le trésor et qui leur servira de boussole. Des scènes de western, dans un paysage somptueux, où Antonio reste seul, après avoir été contraint d’éliminer ses compagnons, comme on s’y attendait, jusqu’à un final énigmatique qui laisse au spectateur le loisir de terminer le conte.

La Légende du roi crabe est une fable qui enchante et nous ramène à la vieille tradition des contes qui nourrissent l’imaginaire, récit épique très présent dans la filmographie italienne, qui n’est pas sans rappeler le très beau film de Pietro Marcello, Bella e perduta (2016, voir la fiche du 10 juin 2016) ou Heureux comme Lazarro d’Alice Rohrwacher (2018).

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