Retour à Reims (Fragments)

Auteur : Jean-Gabriel Périot est un monteur et réalisateur français né en 1974. À quatorze ans il décide que son métier sera de faire des films. Il suit une formation autour de l’audiovisuel et découvre lors d’un stage de fin d’études au Centre Pompidou, les possibilités qu’offrent les images d’archives. Son travail s’intéresse aux rapports entre la violence et l’histoire. Il définit son métier de cinéaste comme un travail de recherche en interrogeant notre monde et les rapports humains. Il aborde des thèmes récurrents, notamment la mémoire et l’histoire, questionnées principalement à travers la Seconde Guerre Mondiale. Il s’intéresse également au militantisme et à la politique avec la question du travail et des travailleurs, ou encore aux violences policières. Il a réalisé depuis 2002 une quinzaine de courts métrages en développant son propre style à partir d’archives filmiques et photographiques et quatre longs, Une jeunesse allemande (2015) qui retrace chronologiquement l’histoire de la Fraction Armée Rouge, Lumières d’été (2016), Nos défaites (2019) qui retrace son travail avec les élèves de la classe de première (option cinéma) du lycée Romain-Rolland d’Ivry-sur-Seine au cours  de l’année 2017-2018 et dans lequel il revient sur les mouvements lycéens contre Parcoursup avec, notamment, une reconstitution de l’intervention policière à Mantes-la-Jolie. Retour à Reims a été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, Cannes 2021.

Interprète : Adèle Haenel (voix off).

Résumé : A travers le texte de Didier Eribon, Retour à Reims (Fragments) raconte en archives une histoire intime et politique du monde ouvrier français du début des années 50 à aujourd’hui.

Analyse : Dans ce documentaire passionnant Jean-Gabriel Périot ne fait pas une simple adaptation du très bel ouvrage homonyme de Didier Eribon. Il met en image des extraits, choisissant ceux qui traitent de la condition douloureuse ouvrière des années 50 à nos jours, négligeant toutes les considérations personnelles et intimes de l’auteur, notamment le rôle de son homosexualité qui a été, paradoxalement, sa source d’émancipation, d’où la parenthèse Fragments. Adèle Haenel lit en voix off des extraits du si beau texte de l’ouvrage. Qui d’autre pouvait porter la parole de ces femmes ouvrières, victimes d’une double oppression, celle du patriarcat et celle des patrons ? Sans que l’image corresponde toujours au texte, Périot a utilisé des extraits d’archives, celles de fictions (Le joli moi de mai de Chris Marker, L’amour existe de Pialat…), de films commandités par le Parti communiste français, de documentaires jusqu’aux révoltes et manifestations actuelles, ou d’émissions de télévision du temps ou celle-ci ne faisait pas de « radio trottoir » mais des documentaires fouillés sur la vie ouvrière, où chacun pouvait s’exprimer longuement. Transfuge de classe le narrateur revient à Reims après avoir longtemps rompu avec sa famille d’origine. Il nous conte ce qu’a été la vie de sa mère, ouvrière exploitée, vivant dans une quasi misère, passée du parti communiste au front national. Une mère qui désirait tant faire des études, qui a épousé un ouvrier qui travaillait dur, souvent tard le soir et parfois rentrait ivre. Des images saisissantes sur la domination de la bourgeoisie vivant dans l’opulence au mépris des ouvriers qui ont fait sa richesse, qui ont dû arracher des avantages sociaux par des luttes souvent dures, seules réponses à cette exploitation insupportable de la force du travail. Comment ne pas être ému.e.s et bouleversé.e.s par cette jeune femme, d’une grande dignité, qui explique qu’elle ne peut satisfaire son gosse qui lui demande un second repas par jour alors qu’elle ne peut lui en donner qu’un. Comment ne pas être ému.e.s et bouleversé.e.s par les conditions de vie humiliantes de ces travailleurs, habitant des logements insalubres, subissant des conditions de travail indignes, les corps brisés par le travail à la chaine. Comment a-t-on pu laisser vivre des êtres humains dans de telles conditions ? Par quel aveuglement, quel égoïsme, quel manque de cœur, quel manque de la moindre parcelle d’humanité ? Le film montre comment le parti communiste a mal pris en compte cette violence sociale, a mal répondu aux attentes de ses adhérents et comment ceux-ci se sont parfois tourné vers le mirage que leur promet le Front national. Il met également l’accent sur le racisme de cette classe ouvrière qui veut stopper l’immigration car elle craint la casse du travail et des salaires. 

Une remarquable histoire de la classe ouvrière et de la condition féminine, nécessaire, sensible, bouleversante, qui éclaire singulièrement notre présent.

1 Comments

  1. Je vais le voir à Bruxelles le 27/04 en prime un entretien avec Didier Eribon avant la projection! Trop heureuse ?

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