EO

Auteur : Jerzy Skolimowski, né en 1938 (84 ans), est un cinéaste, acteur et artiste peintre polonais. C’est un des grands noms du Nouveau cinéma polonais des années 60. Il commence par écrire des poésies et des scénarii, ce qui l’emmène à connaître Wajda et Roman Polanski. Il réalise son premier film en 1959, à 21 ans. Il a rapidement une carrière internationale, très mouvementée, ponctuée de retraites plus ou moins longues à distance des plateaux. Par exemple après une pause de 17 ans il est revenu au cinéma en réalisant Quatre nuits avec Ana en 2008 qui a obtenu un certain succès ; ou entre 2015 (11 Minutes) et EO (2022), il s’est consacré entièrement à la peinture. Il a effectué de nombreuses pérégrinations à travers l’Europe (Le Départ, Deep End, Travail au noir) jusqu’aux États-Unis (Le Bateau-phare, 1985). Il a obtenu de très nombreuses récompenses : à Berlin, Ours d’or pour Le départ (1967) ; à Venise, Prix spécial du Jury pour Le Bateau phare(1985), Grand Prix du Jury pour Essential Killing (2010), Lion d’or pour l’ensemble de sa carrière (2016) ; à Cannes, Grand Prix du jury pour Le cri du sorcier (1978), Prix du scénario pour Travail au noir (1982) et Prix du Jury pour EO (2022). 

Interprètes : Sandra Drzymalska (Kassandre) ; Thomas Organek (Ziom) ; Matheusz Kosciukiewicz (Mateo) ; Lorenzo Zurzolo (Vito) ; Isabelle Huppert (la comtesse).

Résumé : EO nous conte les vicissitudes d’un petit âne gris aux yeux mélancoliques. Un portrait très pessimiste de la société actuelle à travers le regard et les aventures de cet animal si attachant. 

Analyse : Ce n’est pas souvent que l’on peut voir un film comme EO. Sorte d’ovni du cinéma, d’une inventivité, d’une jeunesse incroyable de la part d’un vieux monsieur de 84 ans qui au lieu de faire sagement son cinéma, a pris tous les risques en jouant avec sa caméra et avec nous aussi. En tournant l’histoire d’un petit âne gris Skolimowski a bien sûr pensé au chef d’œuvre de Robert Bresson Au hasard Balthazar de 1966 dont il dit que c’est le seul film à l’avoir profondément touché. Mais combien différent de son modèle car même si l’âne dans les deux cas est au centre du récit, il y a chez le réalisateur polonais des options cinématographiques radicalement différentes ! EO est au départ un animal de cirque, cajolé par Kassandra avec laquelle il effectue un numéro. Le réalisateur met l’accent sur les bonnes intentions qui peuvent paver l’enfer car l’interdiction d’utiliser des animaux dans les cirques jette ce petit âne à la rue.  Commence alors une vie errante, de la Pologne à l’Italie, où il est transbahuté à hue et à dia, passant de fermes en haras, de maîtres violents avec lesquels il frise la mort, à une solitude poignante ; une vie chaotique rencontrant des joies mais surtout des douleurs, de très mauvaises personnes et de rares bonnes., jusqu’à une fin prévisible. 

Ce petit âne est plein d’humanité qui se manifeste à travers son regard tendrement mélancolique, ses états d’âme, nostalgique quand il pense à Kassandra, envieux et sombre lorsqu’il constate la différence de traitement entre lui et des étalons bichonnés, lui qui « n’est qu’un âne ». Même chez les animaux il y a des différences de classe !

Pour montrer le chaos de notre monde actuel qui instrumentalise les animaux à des fins économiques et maltraite la nature, Skolimowski a utilisé les techniques que le monde moderne met à sa disposition, drones, objectifs déformants, flashs stroboscopiques, accompagnés d’une musique assourdissante pour secouer le spectateur. Une magnifique dépense de couleur, le rouge essentiellement qui nappe le paysage ou certaines scènes, le rouge de la souffrance de l’animal blessé. Comme pour manifester son indignation devant une société brutale et cruelle, entre les supporteurs de foot, les forains, les hooligans à la violence gratuite et absurde, le réalisateur fait sortir la caméra de ses gonds qui tournoie avec les pales d’une éolienne, des images hallucinées qui sautent, tournent, sont projetée à l‘envers ou sont rembobinées, des travellings virtuoses, des jeux de lumière audacieux. 

Un film brillant, original, plein de poésie et d’inventivité, dont beaucoup de nos jeunes réalisateurs trop sages devraient s’inspirer.

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