Armageddon Time

Auteur : James Gray, né en 1969, est un réalisateur, scénariste, producteur américain. Il se destine très tôt à la peinture mais la vision des films de Coppola le marque profondément. Il étudie le cinéma à l’University of South California. En 1994, alors qu’il n’a que 25 ans, son premier long métrage Little Odessa reçoit le Lion d’argent à Venise. Son deuxième long métrage, The Yards (2000) est sélectionné à Cannes. Il devra attendre sept ans pour signer son troisième long, La Nuit nous appartient, présenté sur la Croisette en 2007. Quelques mois plus tard il réalise Two Lovers, sélectionné à Cannes 2008. En 2013 The Immigrant est également sélectionné à Cannes, revenant, comme les autres, bredouille. Dans un registre très différent il réalise en 2017 The Lost City of Z. Deux ans plus tard, le cinéaste s’attaque à la science-fiction avec Ad AstraArmageddon Time a été présenté en sélection officielle à Cannes 2022, toujours sans aucune récompense. 

Interprètes : Anne Hathaway (Esther, la mère) ; Jeremy Strong (Irving, le père) ; Banks Repeta (Paul Graff) ; Jaylin Webb (Johnny) ; Anthony Hopkins (Aaron, le grand-père).

Résumé : Ce film retrace l’histoire très personnelle du passage à l’âge adulte d’un garçon du Queens des années 80, issu d’une famille juive ukrainienne ayant fuit les pogroms, immigrée à New York depuis 1920. 

Analyse : Les thèmes des films de James Gray, de Little Odessa à Two Lovers en passant par La nuit nous appartient et à The Immigrant, témoignent de son attachement à ses origines et sont imprégnés de son histoire personnelle. Toutefois aucun n’est aussi franchement autobiographique que Armageddon Time. Avec tendresse, nostalgie et une grande sensibilité le réalisateur se penche sur quelques mois de son enfance, des mois où les illusions et les insouciances de l’enfance font place aux problèmes des adultes et de la société dans laquelle ils vivent. Le moment où l’enfant perd son innocence pour entrer dans l’adolescence avec ses mystères et ses interrogations. C’est la fin d’un monde, le moment de l’« Armageddon », nom de la bataille finale entre le bien et le mal. Paul est dans une famille juive aimante, ni riche ni pauvre ; il dessine constamment, veut devenir artiste, mais son âme sensible fait de lui un enfant difficile, rebelle, qui n’accepte pas volontiers l’autorité des parents et les règles d’une société qu’il ne comprend pas toujours. Il en subit les conséquences, une correction par son père d’une violence inouïe, il doit quitter l’école publique et entrer dans un établissement privé censé lui assurer un avenir conforme au rêve américain, parrainé par le père de Donald Trump, c’est tout dire. Mais surtout il est obligé de quitter son meilleur ami, Johnny, avec lequel il fait les 400 coups, jeune Afro-Américain peu gâté par la vie, vivant seul avec une grand-mère atteinte d’Alzheimer, condamné de naissance à la délinquance par la pauvreté et le racisme ambiant. Son point d’encrage est son merveilleux grand-père (Anthony Hopkins) avec lequel il nourrit une tendre complicité et qui lui donne des leçons de vie (« Vise haut, sois bon, aies de la compassion, et n’oublie pas, tu es humain. N’essaie pas d’être parfait. Fais de ton mieux, mais n’accepte jamais l’intolérance et le racisme, et fais-toi entendre »). On est dans les années 1980. Reagan vient d’être élu au grand dam de cette famille démocrate. Car à travers cette chronique familiale très intimiste vue à travers le regard de l’enfant, le cinéaste réalise son film le plus politique, reliant le début de l’ère Reagan au trumpisme, à la résurgence des populismes. « N’oublie jamais le passé, il pourrait bien revenir », entend-on. Gray y dénonce l’illusion du rêve américain, la pression des élites qui provoque des inégalités de classe, le déterminisme social et surtout le racisme dont cette société peine tant à se défaire. Le mal serait-il en train de gagner la bataille finale ?

Avec une infinie délicatesse le réalisateur traite du tiraillement de l’adolescent entre ses velléités – partir en Floride avec son copain, devenir un grand artiste – et la réalité – la force de la famille, les injonctions des parents, de la société, de l’école ; tiraillement qui est fondateur de sa personnalité.

Une restitution méticuleuse du passé, une mise en scène très épurée, sur un mode plus simple, plus doux que dans certains de ses films, de beaux cadrages, une magnifique lumière automnale due au talentueux Darius Khondji, font de cette chronique du quotidien un grand film plein de grâce, d’une belle sensibilité. 

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