Autrice : Émérance Dubas est réalisatrice et scénariste. Formée en Histoire de l’art, elle débute par des installations audiovisuelles et des portraits d’artistes : Dolo, le dernier Dogon (2002), Poupées de lumière (2008), Retour à la base (2011), Buren dans la ville (2014). Filmer la parole est au cœur de ses réflexions. Mauvaises filles est son premier long métrage documentaire.
Résumé : Pour ce premier long-métrage, Émérance Dubas donne la parole à cinq femmes placées, durant leur adolescence, en maison de correction tenues par des religieuses, levant le voile sur l’enfer de ces institutions…
Analyse : Nous ne sommes pas au Moyen-Âge, au 18ème ou au 19ème siècle. Non, nous sommes en France en plein milieu du XXème siècle, dans les années 70. Un documentaire édifiant sur la manière dont on traitait les jeunes filles qui ne correspondaient pas à ce qu’on attendait d’elles. Des révoltées, des insoumises, des rebelles (‘des insolentes’ !), des jeunes filles mal aimées, mal dans leur peau et leur vie, des filles violées depuis leur enfance, des filles-mères, des filles perdues, des « moins que rien », se retrouvent placées par la justice ou les familles dans des couvents, auprès des sœurs du bon pasteur (les si bien nommées), couvents transformés en maison de correction. Les ‘bonnes’ sœurs se sont acquittées de leur tâche avec un zèle qui ferait pâlir d’envie le moindre gardien de prison. Émérance Dubas a fait parler Édith, Michèle, Éveline, Marie-Christine et Fabienne, avec infiniment de douceur et de pudeur. Certaines parlent pour la première fois de leurs traumatismes. Elles racontent les sévices corporels, les tortures, les punitions collectives, les privations de nourriture et d’hygiène, les cellules où étaient placées les récalcitrantes, véritable mitard avec pour tout meuble un lit fixé au sol et un sceau, comme dans les prisons de haute sécurité, et encore ! Recluses, sans aucun contact avec l’extérieur, l’une d’entre elles découvre, à soixante ans passés, à force de persévérance pour avoir son dossier, que ses parents cherchaient à la récupérer, ce qui lui avait été soigneusement caché. Elles racontent aussi ‘la fin’ du cauchemar quand, à leur majorité, elles ont été jetées à la rue, sans rien ni lieu où aller, guettées par les réseaux de prostitution dans lesquelles certaines d’entre elles sont immanquablement tombées, car ces maquereaux savaient y faire. Plusieurs reconnaissent avoir frôlé la mort, n’avoir pas toujours su gérer leur traumatisme ni su donner l’affection qu’elles n’avaient jamais reçu. Toutes frappent par leur force intérieure. Elles semblent avoir réussi à se reconstruire. Michelle a écrit sa vie et, dans une scène très touchante, la partage avec ses petites filles et sa fille pleines d’admiration et d’amour pour cette grand-mère qui a tant souffert.
La caméra s’attarde sur les murs délabrés de cette « prison » abandonnée, avec le commentaire en voix off d’Édith (qu’on ne verra pas) qui nous fait visiter les lieux. Une visite glaçante où les murs parlent d’eux-mêmes. Un documentaire poignant, émouvant, sur un système porté par des religieuses au mépris de toute humanité.