Deux films portant sur le thème de l’immigration sont parus ce début d’année à quelques semaines d’intervalle. Deux films au sujet commun mais extrêmement différents.
Moi Capitaine de Matteo Garrone. Ce cinéaste italien de 55 ans est bien connu, notamment pour ses films Gomorra (2008), Grand prix du jury à Cannes, Reality (2012), également Grand prix du jury à Cannes, Dogman (2018), en sélection officielle à Cannes, Pinocchio (2019). Son dernier film Io capitano, Moi, capitaine vient d’obtenir le Lion d’argent du meilleur réalisateur à la Mostra de Venise. C’est un film flamboyant sur un sujet terrifiant. Seydou (Seydou Sarr) et Moussa (Moustapha Fall), deux jeunes sénégalais de 16 ans, décident de quitter leur terre natale pour rejoindre l’Europe. S’inspirant d’une histoire vraie, Garrone s’est attaché à monter les dangers de ce périple avant la traversée en Méditerranée. Il est vrai que si l’on parle beaucoup des morts en mer, on parle peu des morts, tortures et esclavages que subissent ces candidats à l’exil avant même de pouvoir embarquer tandis que d’autres dangers les attendent. A l’aide d’images somptueuses et glaçantes, avec une précision qui tient presque du documentaire, et une très bonne connaissance du milieu africain, on suit leur périple à pied dans le désert où beaucoup tombent d’épuisement, l’enfer du passage en Libye où ils subissent le racisme des arabo-musulmans qui les torturent, les blessent, les tuent, les vendent en esclavage, les violent. Un voyage marqué par beaucoup d’horreurs, mais aussi par une grande humanité. Le film raconte aussi comment les passeurs échappent à leur responsabilité en faisant conduire le bateau par des immigrés qui seront eux considérés comme des passeurs. L’intensité du film tient à l’interprétation remarquable des deux principaux protagonistes et à l’habileté du réalisateur qui a voulu que tous les figurants soient des personnes qui avaient véritablement effectué ce voyage. Des passages oniriques, très conformes à la tradition africaine, montrent comment ces deux jeunes se raccrochent à leur enfance et à leurs rêves.
Même si l‘on peut reprocher à ce film une certaine « théâtralité », c’est un reproche mineur par rapport à sa puissance et son utilité.
Bien différent sur un sujet semblable est La tête froide de Stéphane Marchetti. Ce dernier, cinéaste français de 45 ans, est l’auteur de nombreux documentaires dont un proche de son sujet, Calais, les enfants de la jungle (2018). Ce film est son premier long métrage de fiction, proche par le thème du film de Thierry Benisti, Le Prix du passage (2023). Nous sommes cette fois-ci dans les Alpes enneigées, en plein hiver. Pour boucler ses fins de mois, Marie (Florence Loiret Caille), 45 ans, trafique des cartouches de cigarettes entre la France et l’Italie avec l’aide de son amant Alex (Jonathan Couzinié), policier aux frontières. Un jour elle recueille Souleymane (Saabo Balde), jeune réfugié, prêt à tout pour rejoindre sa petite sœur à Calais. Il lui laisse entrevoir la possibilité de l’aider à faire passer des migrants moyennant finances. Elle qui a un besoin récurrent d’argent, s’embarque dans un engrenage bien plus dangereux qu’elle ne l’avait imaginé. Un film très simple, humble même, et d’un grand réalisme. Un film qui reprend le trajet de ces migrants, une fois passée la Méditerranée. Ils veulent atteindre la Grande Bretagne et doivent franchir les Alpes, souvent la nuit, dans la neige et les tempêtes. Le personnage de Marie est particulièrement intéressant, due en grande partie à la personne de l’actrice. Elle est discrète mais dégage une telle personnalité qu’elle fait passer la précarité et les émotions de cette femme dans un simple regard, une simple posture, devant une vitre de son mobil-home dans la neige ou seule devant une tasse de café. Son activité se déroule sur le fil du rasoir et une tension sourde et inquiétante irrigue tout le film. Certes elle aide ces migrants apeurés, perdus, désespérés, entre les mains de nouveaux passeurs italiens, par besoin d’argent mais également par une humanité qui nait de la solidarité qu’implique sa propre position. Une mise en scène simple et efficace, toute en retenue, beaucoup moins stylisée que celle de Garrone, fait le choix de l’absence de manichéisme et surtout de jugement moral. Il est dommage qu’une scène d’une tension extrême se termine par une ellipse qui ne nous permet pas de comprendre comment les protagonistes ont pu se sortir d’une situation désespérée. Un film engagé qui met en scène un beau personnage féminin, fragile et attachant.