La Zone d’intérêt

Auteur : Jonathan Glazer, né en 1965 est un réalisateur britannique. Il est auteur de clips et courts métrages. Après Sexy Beast (2000) et Birth (2004), c’est en 2013 que le réalisateur s’est fait véritablement connaitre avec  Under the Skin. Il s’est fait discret depuis et son retour était très attendu. The Zone of Interest (La Zone d’intérêt), son 4ème long métrage, a obtenu le Grand Prix au dernier festival de Cannes. 

Interprètes : Christian Friedel (Rudolf Höss) ; Sandra Hüller (Hedwig Hösss).

Résumé : Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig construisent pour eux et leur famille une vie de rêve dans une maison avec jardin à côté du camp.

Analyse : C’est un film magistral, glaçant, un chef d’œuvre qui a beaucoup marqué le festival de Cannes 2023. Je reprendrai pour l’essentiel ce que j’en écrivait alors. La zone d’intérêt, ainsi nommée avec cynisme par les nazis, est cette zone qui entoure un camp de concentration. Le commandant d’Auschwitz Rudolf Höss et sa femme Hedwig y mènent une vie très agréable avec leur petite famille dans un pavillon coquet avec jardin, piscine, serre et verger. Le Paradis aux portes de l’Enfer en quelque sorte. Des enfants blonds rient, s’amusent, se baignent dans une ambiance d’éternelles vacances. Les parents reçoivent des amis, on mange, on boit, on rit, on part au bord du lac proche piqueniquer. La vie est belle. 

On peut être traumatisé.e par les images des camps de concentration. Mais on l’est tout autant, sinon plus, quand rien n’est montré mais suggéré. C’est la très grande force de ce film : l’horreur voisine n’est jamais dévoilée. Le réalisateur a choisi de nous montrer au contraire un quotidien banal et heureux tandis que des bruits, des sons, le ronflement des fours crématoires, des hurlements parfois, l’aboiement de chiens, la détonation des armes, le roulement de trains, des odeurs sans doute car on voit la fumée noire qui s’échappe d’une cheminée du camp depuis la maison, rendent l’horreur présente et insupportable. Mais rien ne vient perturber ce petit monde qui semble s’être parfaitement habitué à cet environnement. La maîtresse de maison y tient son domicile dans une propreté méticuleuse, soigne son verger, ses fleurs, sa volière. Une tranquillité obscène. Plus glaçantes encore sont les discussions menées par Höss et des dignitaires nazis qui conçoivent l’extermination des juifs comme une entreprise à l’échelle industrielle, avec des problèmes de rentabilité, d’augmentation du chiffre. Par exemple ils reçoivent un chef d’entreprise qui leur propose une amélioration du rendement des fours crématoires en agrandissant ceux-ci… ! à frémir. Le film présente Madame si contente du paradis de carte postale qu’elle a bâti qu’elle ne veut le quitter à aucun prix, même lorsque son mari est muté ailleurs. 

Certains ont pu s’interroger sur la nécessité d’un tel film. Question surprenante et même choquante. Comment poser une telle question à l’heure où la peste brune envahit progressivement l’Europe et est à nos portes ? Une piqûre de rappel sur ce qui est le soubassement d’une certaine idéologie n’est jamais inutile. On a pu dire aussi que le film est « banal ». Non ! la description de la banalité du mal qui nous force à nous interroger sur notre propre humanité, n’en fait pas un film banal. Il est peut-être banal de traiter les nazis de monstres ; mais justement ce n’est pas le point de vue auquel se place Jonathan Glazer. Ils sont comme vous et moi et ne se distinguent par rien de particulier. Ce qui ajoute à l’angoisse. 

Nous sommes au-delà des limites de l’humanité, au cœur de ce que Hanna Arendt a nommé « la banalité du mal ». Un sentiment d’irréalité nous saisit. Comment est-ce possible ? Le réalisateur a fait le choix, prôné par Claude Lanzmann, de ne faire aucune fiction sur les camps. Le résultat est un film vertigineux, terrifiant, qui distille avec virtuosité, spécialement dans sa forme, l’ignominie dans le banal du quotidien.

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